Systèmes alimentaires urbains inclusifs et durables : les défis à relever

Événement 10 mars 2022
La pandémie de Covid-19 et sa cohorte de restrictions sociales ont mis en lumière la fragilité des systèmes alimentaires urbains, notamment ceux alimentés par des circuits longs. Et pourtant, il va falloir continuer à nourrir une population urbaine toujours croissante. D’où la nécessité de structurer des systèmes inclusifs et durables. Un impératif qui a conduit le Cirad et l’AFD à organiser une conférence sur le sujet, à l’occasion du Salon international de l’agriculture.
La conférence "Des systèmes alimentaires urbains inclusifs et durables ?" a été organisée par le Cirad et l'AFD le jeudi 3 mars 2022 au Salon international de l'agriculture © M. Adell, Cirad
La conférence "Des systèmes alimentaires urbains inclusifs et durables ?" a été organisée par le Cirad et l'AFD le jeudi 3 mars 2022 au Salon international de l'agriculture © M. Adell, Cirad

La conférence "Des systèmes alimentaires urbains inclusifs et durables ?" a été organisée par le Cirad et l'AFD le jeudi 3 mars 2022 au Salon international de l'agriculture © M. Adell, Cirad

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, et selon les Nations Unies, à l’horizon de 2050, nous pourrions être 70 % d’urbains. « Cette croissance implique que les systèmes alimentaires doivent être capables de répondre à une demande très importante. Or, celle-ci pose des contraintes en termes de transport, de structuration des marchés locaux, d’approvisionnement auprès de filières locales, ce qui nécessite une symbiose entre développement agricole pérenne et développement urbain, » a souligné Bertrand Walckenaer, directeur adjoint de l’AFD, en introduction de la conférence « Des systèmes alimentaires urbains inclusifs et durables ? ».

Mais « les villes présentent aussi des opportunités pour l’agriculture — richesse, infrastructures, pouvoirs publics, savoirs — susceptibles de permettre aux systèmes alimentaires urbains d’être résilients face aux grands enjeux et aux crises, » a rappelé Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire Unesco Alimentations du monde.

Une résilience face à la crise de la Covid-19, mais…

De fait, « en Afrique de l’Ouest, le système alimentaire a été plus résilient qu’attendu face à la crise de la Covid-19, reconnait Philipp Heinrigs, économiste du Club Sahel à l’OCDE. Cela est sans doute dû au secteur informel qui est plus agile et peut réagir vite. En revanche, les confinements ne pouvaient pas fonctionner, car les gens ont besoin de travailler chaque jour pour se nourrir le lendemain. » C’est pourquoi « ils ont d’ailleurs été très vite allégés dans la très grande majorité des pays à faibles revenus, » complète Sandrine Dury, économiste du développement agricole, agro-alimentaire et rural au Cirad.

Au Vietnam, « les transports entre provinces ayant été bloqués, certaines villes comme Hô Chi Minh qui n’a pas de surfaces agricoles périurbaines, ont connu une rupture de son approvisionnement, relate Dao The Anh, vice-président de l’Académie des sciences de l’agriculture du Vietnam (VAAS). Néanmoins, la crise pousse aussi à revoir la politique agricole et alimentaire du Vietnam afin d’aller vers un système alimentaire durable. »

« En Afrique, les conséquences sont plus sombres, indique Sandrine Dury. Les gens sont certes résilients, mais ils réduisent leur consommation, la malnutrition augmente, et ils retrouvent leur trajectoire de pauvreté. » En outre, « les politiques continuent à se concentrer sur l’importation de produits de rente traditionnels au détriment des produits frais, et négligent les très petites entreprises (TPE) malgré leur impact sur la nutrition des ménages, » souligne Philipp Heinrigs. Enfin, « les budgets agricoles ont été réduits au profit de ceux de la santé, » complète Sandrine Dury.

Des financements adaptés à la diversité des systèmes alimentaires urbains

Or, les systèmes alimentaires urbains ont besoin de soutien. Ainsi, « depuis dix ans, le programme d’Amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales (ACEFA) du Cameroun a investi environ 46 millions d’euros pour 7 000 projets, en amont et en aval de la production, qui forment un maillage de groupements de 10 à 12 producteurs, ce qui a augmenté la productivité et permet de nourrir nos villes, décrit Bouba Moumini, son coordinateur. Le défi maintenant est que les banques créent une filière de financement adaptée et prennent le relai. »

Au Maroc, ce soutien passe par une banque publique de développement, le Crédit Agricole du Maroc. « Nous finançons avec l’AFD, un programme de chaine de valeur verte qui comprend le crédit et une prime à l’investissement, mais aussi un accompagnement technique, car il s’agit d’aider les producteurs et l’agro-industrie à augmenter leur rentabilité, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à gérer les déchets, illustre Mariem Dkhil, sa directrice de la finance développement durable. Autre exemple, en 2020, nous avons lancé un programme dédié aux très petites exploitations rurales, mais on constate que certains exploitants ne sont pas habitués au formalisme demandé par notre organisme financier, et ont besoin d’un accompagnement avant même le dépôt de leur projet. »

Les politiques publiques au cœur des systèmes alimentaires urbains

Pour devenir inclusifs et durables, les systèmes alimentaires urbains ont également besoin du soutien des villes elles-mêmes. « Or, elles disposent de leviers : foncier, infrastructures des marchés, restauration scolaire et de rue, valorisation des déchets, dialogue avec tous les acteurs de la ville, rappelle Nicolas Bricas, socioéconomiste de l'alimentation au Cirad. Celles qui le souhaitent ont donc les moyens de proposer une alimentation durable et de bonne qualité nutritionnelle. »

Une démarche dans laquelle s’est engagée Sahondra Ratsimbazafy, maire de Fianarantsoa à Madagascar. « Avec le soutien de l’AFD, nous allons réhabiliter des infrastructures marchandes afin d’aider les paysans à commercialiser leur production sans intermédiaires, témoigne-t-elle. Mais, en tant que maires, pour agir et prendre les décisions adéquates en tenant compte de la politique générale nationale visant à l’autosuffisance alimentaire, nous devons comprendre toutes les composantes du système alimentaire : environnement, gestion des territoires, développement économique, insécurité alimentaire et nutritionnelle. »

Autrement dit, les municipalités ont une approche globale ce que confirme Nicolas Bricas en soulignant que « les villes commencent à se fédérer pour peser sur les politiques nationales agricoles, mais aussi pour piloter la recherche. » Une volonté qui fait écho aux travaux engagés en 2021 par la coalition internationale sur l’alimentation scolaire « qui va évaluer son apport pour le bien-être des enfants, mais aussi son impact éventuel sur le développement local et sur des systèmes alimentaires plus durables, » indique Sylvie Avallone de l’Institut Agro de Montpellier et soutien scientifique au projet.

« Cette conférence confirme que les systèmes alimentaires sont complexes à appréhender d’où la nécessité d’instituts de recherche qui ont une approche globale : systèmes alimentaires et climat et santé et biodiversité et fracture territoriale, conclut Elisabeth Claverie de Saint Martin, la présidente directrice générale du Cirad. Mais ce sont aussi des leviers pour le développement, un changement de modèle économique et une transition vers l’agroécologie. »

(Re)Voir la conférence