Covid-19 & Sécurité alimentaire | En Colombie, la crise sanitaire exacerbe les inégalités entre petits et grands producteurs

Regard d'expert·e 19 mai 2020
En Colombie, les petits producteurs agricoles doivent faire face à des inégalités extrêmement fortes. L’arrivée de l’épidémie de Covid a, comme on pouvait s’y attendre, accentué cette situation, malgré les mesures prises par le gouvernement. Analyse de Nadine Andrieu, agronome au Cirad, en poste à Cali en Colombie. Cet article est le cinquième d’une série consacrée aux impacts du Covid-19 sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays tropicaux.
Les petits agriculteurs colombiens font habituellement face à de nombreuses difficultés pour accéder aux crédits. Ces contraintes ont été plus difficiles encore depuis le début de la crise liée à l’épidémie de Covid. © Fanny Howland

Avec l’arrivée de l’épidémie en Colombie, le gouvernement s’est montré particulièrement réactif pour soutenir le secteur agricole face à la crise sanitaire. Il a notamment facilité la mobilité des agriculteurs en leur octroyant un laissez-passer. Fin mars, il a mis en place un programme de crédit, «Colombia Agro Produce» , d’1,5 milliard de pesos destinés à soutenir l’activité agricole, en particulier l’achat de semis et d’intrants. Ce programme offre alors des taux d'intérêt préférentiels pour les petits producteurs - 3,5 % contre 4,5 % pour les moyens et les grands producteurs. Dans un deuxième temps, il a également supprimé les droits de douane pour le maïs, le sorgho et le soja . L'objectif : faire face à la forte dévaluation que subit le peso depuis 1 an et qui s’est encore accentuée en mars*. Cette dévaluation a logiquement entraîné une augmentation du coût des importations d'intrants pour le secteur agricole.

69,5 % des producteurs colombiens occupent des parcelles de moins de 5 hectares

Si les intentions du gouvernement sont louables, ont-elles l’impact espéré ? Rien n’est moins sûr, bien au contraire : la crise du Covid a mis en lumière, voire exacerbé, les inégalités du monde agricole colombien.

Dans le pays, les petits agriculteurs sont majoritaires : 69,5 % des producteurs occupent des parcelles de moins de 5 hectares. Leurs propriétés couvrent au total seulement 5,2 % de la terre cultivable. À l’opposé, 0,2 % des producteurs exploitent des parcelles de plus de 1000 hectares, qui couvrent 32,8 % des terres agricoles (Grajales Jacobo, 2019).

Les agriculteurs n’ont pas été accompagnés pour accéder aux aides du gouvernement

Les aides mises en place par le gouvernement se voulaient initialement destinées à tous les agriculteurs, quelle que soit leur surface de production. Or, les chiffres du ministère de l’Agriculture colombien montrent qu’elles ont été, dans la 1re période de la crise, massivement mobilisées par les agroindustriels et les producteurs d’exploitations de taille moyenne , au détriment des petits. À la suite de plusieurs alertes de médias, la ligne de crédit a été fermée aux grands producteurs. Néanmoins, en mai, seuls 20 % du crédit «Colombia Agro Produce» destiné à ces derniers ont été sollicités . En cause : le manque d’accompagnement des petits producteurs qui accèdent déjà peu à des crédits en temps normal. Dans le cadre d’une enquête auprès d’une dizaine de petits agriculteurs, ces derniers indiquent qu’ils n’ont, à ce stade, reçu aucune aide de techniciens ou d’information des banques pour les orienter.

La charge de travail des femmes a triplé en zone rurale

Dans certaines régions de Colombie telles que le Cauca, ces petits producteurs doivent en outre continuer à produire dans un contexte d’insécurité quotidienne. Si les accords de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ont été signés en 2016, les conflits ont perduré. Les territoires laissés vacants par les Farc sont l’objet de tensions entre activités légales et illégales , telles que pour ces dernières l’extraction de minerais ou la culture de coca. Quatre-vingt-quatre leaders communautaires ont ainsi été assassinés depuis le début de l’année - 250 en 2019 selon Indepaz.org. Dans ces zones de conflits, contrôlées par des groupes armés, les agriculteurs ne peuvent circuler librement.

Enfin, en bout de chaîne, les femmes en zone rurale ont vu leur charge de travail tripler depuis le début de l’épidémie, par rapport à celui des hommes. En cause : l’augmentation des surfaces potagères destinées à l’autoconsommation et l’augmentation des activités domestiques liées à la garde des enfants qui viennent s’ajouter à leurs activités habituelles.

* Le peso a été dévalué de près de 16 % en mars 2020, près de 25 % depuis le début de l'année et 31 % au cours des 12 derniers mois.