Marisa Peyre : « Les partenariats public-privé offrent un potentiel considérable pour renforcer les services vétérinaires »

Regard d'expert 9 septembre 2019
Épidémiologiste au Cirad, Marisa Peyre a participé à la conception d’un manuel sur les partenariats public-privé dans le domaine vétérinaire. Ce guide de bonnes pratiques est édité par l’OIE avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates. La chercheuse détaille les grands principes de réussite de ces accords, en les illustrant de « success stories » récoltées auprès des membres de l’OIE.
Éleveur dans le Ferlo (Sénégal) © S. Taugourdeau, Cirad
Marisa Peyre, épidémiologiste au Cirad, détaille les grands principes de réussite des partenariats public-privé dans le domaine vétérinaire © Cirad, C. Dangléant

Pourquoi les partenariats public-privé (PPP) sont-ils un outil particulièrement efficace en matière de services vétérinaires ?

Marisa Peyre : Parce que dans beaucoup de pays du sud, les pouvoirs publics ont des ressources limitées. Le privé peut apporter des moyens financiers, mais aussi des compétences techniques, du matériel, etc. En travaillant ensemble, les deux secteurs peuvent offrir de plus grands bénéfices et un impact positif sur le long terme. En matière de santé, la notion de pérennité est importante. Souvenons-nous de l’épidémie de la grippe aviaire en Asie du Sud-Est. Grâce à des fonds internationaux de coopération, la maladie a fait l’objet d’une surveillance active pendant plusieurs années. Mais cela s’est brutalement arrêté avec la fin des financements. Ces pays sont alors passés d’une surveillance de 90 % du territoire à quelque 10 %.

Quels bénéfices les deux partenaires peuvent-ils espérer ?

M. P. : Les retombées des PPP peuvent être très différentes d’une situation à l’autre. Par exemple, en Éthiopie, l’entreprise Ethiochicken collabore avec les services vétérinaires pour améliorer l'élevage de volaille et soutenir les petits exploitants. L’entreprise bénéficie du maillage territorial et des locaux du gouvernement, qui à son tour tire parti des ressources financières et techniques d’Ethiochicken. Grâce à ce partenariat, l’Éthiopie a augmenté sa production d’œufs et de viande de volaille en permettant l’accès à des races améliorées et à une meilleure santé et nutrition des animaux.

Quelles autres « success stories  » pouvez-vous nous raconter pour illustrer la diversité que ces partenariats peuvent revêtir ?

M. P. : En 1996, le Paraguay a sollicité le secteur privé pour financer un fonds dédié à la lutte contre la fièvre aphteuse. Ce partenariat entre les groupements agricoles et les autorités zoosanitaires du pays a permis de parvenir progressivement au contrôle de la maladie. Le Paraguay est aujourd’hui reconnu indemne de fièvre aphteuse avec vaccination et est devenu un exportateur important de produits carnés. La collaboration continue, notamment pour mettre en œuvre des systèmes de surveillance mutualisés et efficaces.

Quelles sont les conditions de réussite de tels partenariats ?

M. P. : Il y a quelques grandes règles qui sont aussi générales qu’incontournables :

  • Délimiter les missions et responsabilités de chacun. La transparence sur les rôles et objectifs de chacun est le meilleur des garde-fous pour prévenir les conflits d’intérêts.
  • Favoriser la communication pour bien comprendre les contraintes de chacun et induire la confiance entre les deux parties.
  • Déterminer un objectif commun et des ambitions spécifiques qui peuvent, elle, être différentes pour chaque partenaire.
  • Définir une gouvernance du PPP qui respecte une charte, prend en compte les risques (conflits d’intérêts, méconnaissance mutuelle, etc.), fixe des normes et une contractualisation…

Les nombreuses idées reçues qui planent sur le secteur public comme sur celui du privé ne sont-elles pas un obstacle à l’élaboration de ces partenariats ?

M. P. : Effectivement. Ces poncifs ont la vie dure et existent dans tous les pays du globe. C’est pourquoi nous dispensons des formations régionales qui réunissent les deux types d’acteurs. Elles permettent de sensibiliser le secteur public au fait que le privé prend des risques et inversement, de casser l’idée que la fonction publique est lente et inefficace. Ces formations permettent aussi de faire grandir la confiance entre les deux secteurs. Nous avons organisé un premier atelier en anglais. Il s’est tenu en Éthiopie et a mélangé des acteurs publics et privés de 9 pays anglophones d’Afrique de l’Est, du Sud et de l’Ouest. Les retours de cette formation ont été extrêmement positifs. Chaque participant a bien perçu les gains qu’il peut tirer de ces partenariats. Un prochain atelier réunira cette fois 10 pays d’Afrique francophone dès ce mercredi 11 septembre.

Finalement, ces grands principes de PPP pourraient s’appliquer plus largement que pour le seul secteur de la santé animale…

M. P. : C’est vrai. D’ailleurs, au Cirad nous réfléchissons de plus en plus à la mise en œuvre de PPP. Notamment pour pérenniser nos actions de terrains afin que les bénéfices de nos projets de recherche-développement durent dans le temps.

Propos recueillis par Caroline Dangléant