Les forêts semi-décidues d'Afrique de l'Ouest menacées

Résultats & impact 5 septembre 2023
Les forêts semi-décidues d'Afrique de l'Ouest, confrontées à de multiples perturbations liées aux activités humaines, sont au cœur d'une nouvelle étude publiée dans Biological Conservation par l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny, le Cirad et l’Université de Wageningen. Celle-ci dévoile les conséquences à long terme de perturbations telles que les incendies, l'exploitation forestière et les invasions biologiques sur ces précieux écosystèmes.
Invasion du sous-bois de la forêt semi-décidue de Téné (Côte d’Ivoire) par l’espèce non-native Cedrela odorata. © B. Hérault, Cirad
Invasion du sous-bois de la forêt semi-décidue de Téné (Côte d’Ivoire) par l’espèce non-native Cedrela odorata. © B. Hérault, Cirad

Invasion du sous-bois de la forêt semi-décidue de Téné (Côte d’Ivoire) par l’espèce non-native Cedrela odorata. © B. Hérault, Cirad

L'étude, menée sur une période de plus de 30 ans, a analysé la réponse de 17 038 arbres appartenant à 207 espèces de forêts semi-décidues à  trois perturbations majeures - incendies, exploitation forestière et invasions biologiques - au sein d'une expérience de terrain de 100 hectares. Les chercheurs ont également examiné les liens entre les réponses spécifiques des espèces et leurs traits fonctionnels liés à l'acquisition de ressources et à leurs stratégies de défense. Les résultats mettent en évidence des menaces considérables pour la biodiversité de ces forêts.

Qu’est-ce qu’une forêt semi-décidue ?
C’est une forêt caractérisée par la chute partielle de ses feuilles durant la saison sèche. En Afrique de l’Ouest, ces forêts se situent dans une zone de transition entre les forêts tropicales humides au Sud et les forêts sèches au Nord. Elles abritent une flore de grande diversité avec la coexistence : des espèces de forêts humides, qui transgressent vers le Nord, d’espèces de forêts sèches qui transgressent vers le Sud, d’espèces caractéristiques qui sont adaptées à ces conditions saisonnières changeantes.

"Nos résultats montrent que chacune des trois perturbations a eu un impact négatif à long terme sur l'abondance actuelle des espèces", explique Marie Ruth Dago, doctorante à Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire). "Les espèces les plus sensibles aux perturbations sont celles qui adoptent une stratégie conservatrice de gestion des ressources, comme une forte densité des tissus foliaires, ligneux et racinaires, et qui investissent peu dans les stratégies de défense, une faible épaisseur d’écorce et de feuille, par exemple", ajoute Bruno Hérault, écologue forestier au Cirad.

De plus, l'étude réalisée dans le cadre du projet RévaTéné sur des financements du Contrat de Désendettement et de Développement entre la Côte d’Ivoire et la France AMRUGE, révèle que les espèces vulnérables localement aux incendies sont également des espèces mondialement menacées.

Dans le contexte de forte déforestation des forêts d’Afrique de l’Ouest, les chercheurs proposent plusieurs recommandations pour la gestion de ces écosystèmes :
1.    La conservation des dernières forêts semi-décidues restantes – La protection de ces zones est essentielle, sachant que leur ouverture à l’exploitation forestière augmente simultanément le risque d’incendie et le risque d’invasions biologiques.
2.    L’utilisation d’espèces natives dans les programmes de reforestation – Ne pas introduire d’espèces exotiques permet de limiter le risque d’invasions biologiques et de préserver la biodiversité locale.
3.    La mise en œuvre de stratégies de contrôle des incendies dans les politiques publiques – Des mesures de prévention et de gestion des incendies sont nécessaires pour protéger et restaurer ces écosystèmes forestiers fragiles.

Cette étude souligne l’urgence d’actions concrètes pour préserver ces écosystèmes uniques et leur biodiversité exceptionnelle.

Références

Marie Ruth Dago, Irie Casimir Zo-Bi, Vincyane Badouard, Marco Patacca, Bruno Hérault,
Concomitant effects of multiple disturbances (logging, fire, biological invasion) on native tree abundances into West Africa's semi-deciduous forests. Biological Conservation, Volume 285, 2023. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2023.110220

Van der Meersch, V., Zo-Bi, I.C., Amani, B.H.K. et al. Causes and consequences of Cedrela odorata invasion in West African semi-deciduous tropical forests. Biol Invasions 23, 537–552 (2021). https://doi.org/10.1007/s10530-020-02381-8  

Quels sont les facteurs clés qui déterminent l’invasion par des arbres non-natifs ?

Une étude récente publiée dans Nature, à laquelle quatre scientifiques du Cirad ont participé, explore les facteurs clés qui déterminent l'invasion des arbres non-natifs (non indigènes) dans les écosystèmes. Les chercheurs ont utilisé plusieurs bases de données mondiales sur la distribution des arbres. L’étude montre que les facteurs humains jouent un rôle crucial dans ces invasions tandis que la diversité des espèces d'arbres indigènes dans les écosystèmes en réduit la gravité. Les conditions climatiques, telles que la température et les précipitations, jouent également un rôle déterminant. En outre, l'étude met en évidence un lien fort entre la proximité aux grands ports maritimes et le risque d’invasion biologique. Cette recherche éclaire la nécessité de gérer les espèces non-natives pour préserver les écosystèmes natifs.

Les espèces exotiques envahissantes (EEE), 5e cause d’érosion de la biodiversité, ont un rôle clé dans 60 % des extinctions de plantes et d'animaux dans le monde, selon le dernier rapport de l’IPBES sorti le 4 septembre. Selon ce même rapport, les coûts annuels sont désormais estimés à plus de 423 milliards de dollars - ils ont quadruplé chaque décennie depuis 1970. 
Pour en savoir plus sur les EEE : Communiqué de l’IPBES du 4 septembre