Emergence de maladies zoonotiques et déforestation : un cercle vicieux renforcé par les impacts de la Covid-19

Résultats & impact 5 janvier 2021
La pandémie actuelle et ses impacts économiques pourraient avoir accéléré la déforestation dans de nombreuses zones tropicales. Une déforestation accrue augmente les interactions entre faune sauvage et activités humaines, et donc les risques d’émergence de nouvelles épidémies. Dans un « policy paper » de Perspectives in Ecology and Conservation, une équipe de chercheurs met en garde contre le cercle vicieux qui pourrait s'installer. Les maladies zoonotiques, la santé publique, l'économie, l'agriculture et la gestion des forêts y apparaissent tous intrinsèquement liées.
La pandémie Covid-19 et ses impacts économiques ont conduit à de nouvelles déforestations en zone tropicale © G. Vieilledent, Cirad
La pandémie Covid-19 et ses impacts économiques ont conduit à de nouvelles déforestations en zone tropicale © G. Vieilledent, Cirad

La pandémie Covid-19 et ses impacts économiques ont conduit à de nouvelles déforestations en zone tropicale © G. Vieilledent, Cirad

Un mois après les premières mesures sanitaires visant à contenir la propagation de la Covid-19 en 2020, les alertes à la déforestation en zones tropicales avaient dépassé les 9 500 km2. En 2019, à la même période, ces alertes concernaient un territoire total de 4,732 km2, soit près de la moitié. Intrigués par ce constat, une équipe de scientifiques s’est attelée à établir des liens possibles entre la hausse de la déforestation tropicale et la pandémie de Covid-19. Selon les chercheurs, les conséquences socio-économiques de la pandémie pourraient avoir encouragé cette déforestation, ce qui en retour accroît les risques d’émergence de nouveaux virus.

« En comparant avec les images satellitaires de 2019 pour la même période, on a remarqué qu’en 2020, dans le mois qui suit la mise en œuvre des mesures sanitaires, la déforestation a augmenté de 63 % en Amérique, 136 % en Afrique et 63 % en Asie-Pacifique, indique Bruno Hérault, co-auteur de l’étude et spécialiste des forêts tropicales au Cirad. La pandémie de Covid-19 n’est sûrement pas le seul facteur de cette hausse, mais elle est, selon nous, une part substantielle de l’explication. »

Les feux de forêt aggravent les problèmes respiratoires des populations avoisinantes

Les techniques de défrichement généralement utilisées consistent à mettre le feu à des parcelles de forêts. Or, les particules émises durant ces opérations de déforestation sont la première cause de mortalité humaine prématuré liée à la pollution de l’air dans les régions tropicales. Les feux de forêt exacerbent les problèmes respiratoires des populations locales. En pleine crise de la Covid-19, cela risque, dans ces zones, de surcharger des systèmes de santé déjà fragiles.

« On peut ajouter à cela que, les gouvernements étant focalisés sur la gestion de la crise sanitaire, les actions de lutte contre la déforestation pourraient être revues à la baisse. On serait alors face à un cercle vicieux particulièrement dangereux » , souligne Bruno Hérault.

La déforestation en zone tropicale accroît le risque d’émergence de nouvelles épidémies

A plus long terme, la crise économique qui se profile risque d’accroître la dépendance de nombreux pays tropicaux vis-à-vis de leurs exportations de produits agricoles de base. La situation politique et économique pourrait jouer alors en défaveur des régulations de protection des forêts.

« On sait que les risques d’émergence de maladies infectieuses sont plus élevés dans les régions tropicales à déboisement rapide , rappelle Serge Morand, écologue et spécialiste des maladies infectieuses au CNRS et au Cirad. Une accélération de la déforestation signifie une hausse des interactions entre faune sauvage, qui est un réservoir de virus encore inconnus, et les activités humaines, notamment agricoles. Près de 50 % des zoonoses qui ont fait leur apparition depuis les années 1940 sont associées à l’agriculture. »

Quatre recommandations pour faire face

Face à ce constat, les chercheurs dressent quatre grandes recommandations à l’intention des pouvoirs publics :

1. Protéger les populations rurales et indigènes, les plus exposées aux risques et les plus vulnérables aux maladies infectieuses, notamment à cause de leur accès réduit aux services de santé.
2. Faire de la lutte contre la déforestation une priorité dans les zones tropicales, en dépassant le dualisme entre impératifs sanitaires et enjeux économiques.
3. Anticiper l'augmentation des feux de forêt , en amont des saisons sèches en zones tropicales.
4. Encourager les marchés légaux de vente de bois et soutenir leurs chaînes d’approvisionnement.

« Les dommages croissants causés à des systèmes forestiers déjà fracturés pourraient être exacerbés par la pandémie actuelle. L'arrêt de la déforestation illégale et la protection des populations indigènes ne sont pas à éluder, même en période de pandémie », conclut Pedro H.S. Brancalion, chercheur à l'Université de São Paulo et auteur principal de l’étude.

Référence

Pedro H.S. Brancalion, Eben N. Broadbent, Sergio de-Miguel, Adrián Cardil, Marcos R. Rosa, Catherine T. Almeida, Danilo R. A. Almeida, Shourish Chakravarty, Mo Zhou, Javier G. P. Gamarra, Jingjing Liang, Renato Crouzeilles, Bruno Hérault, Luiz E. O. C. Aragão, Carlos Alberto Silva, Angelica M. Almeyda-Zambrano. 2020. Emerging threats linking tropical deforestation and the COVID-19 pandemic . Perspectives in Ecology and Conservation .