Au Gabon, les systèmes de filiation influencent la propagation des virus du manioc

Résultats & impact 23 juillet 2021
La mosaïque du manioc est l’une des maladies virales des plantes les plus importantes en Afrique. Dans une étude publiée le 23 juillet 2021 dans la revue Nature Communications, une équipe de chercheurs de l’université de Galway (NUIG) et du Cirad s’est intéressée au rôle des facteurs socioculturels qui régissent les échanges de variétés de manioc entre communautés sur la propagation des variants du virus responsable de la mosaïque. L’étude montre que la diversité virale est beaucoup plus élevée dans les communautés qui échangent activement des boutures de manioc.
Une jeune femme plante des boutures de manioc infectées par la mosaïque (Gabon, 2004) © Marc Delêtre
Une jeune femme plante des boutures de manioc infectées par la mosaïque (Gabon, 2004) © Marc Delêtre

Une jeune femme plante des boutures de manioc infectées par la mosaïque (Gabon, 2004) © Marc Delêtre

« Au Gabon, différentes règles de transmission des boutures de manioc prévalent en fonction des deux principaux systèmes de filiation. On a d’un côté une transmission qui s’effectue de façon privilégiée du côté paternel, ce qu’on appelle un système patrilinéaire, et une autre qui se fait du côté maternel, le système matrilinéaire », précise Marc Delêtre, chercheur à l’université de Galway et premier auteur de l’article. « Ces différents systèmes ont des effets contrastés sur la dynamique de la diversité génétique du manioc. »

Dans les sociétés matrilinéaires, les agriculteurs importent plus volontiers de nouvelles variétés de manioc par le biais des réseaux matrimoniaux et, par conséquent, la diversité variétale augmente au sein du village. Dans les sociétés patrilinéaires, en revanche, les agriculteurs cultivent un petit nombre de variétés, qu’ils se transmettent de génération en génération. En moyenne, la diversité variétale du manioc est cinq fois plus élevée dans les villages matrilinéaires que dans les villages patrilinéaires. Cependant, les communautés qui échangent le plus de variétés sont aussi plus exposées aux variants du virus de la mosaïque.
 
En analysant la structure génétique du principal virus responsable de la mosaïque du manioc sur des plants de manioc prélevés dans différents villages au Gabon, Marc Delêtre a ainsi constaté que la diversité des variants du virus est beaucoup plus élevée dans les communautés matrilinéaires que dans les communautés patrilinéaires.

« Les réseaux sociaux d'échange de semences jouent un rôle important dans la conservation de l'agrobiodiversité, souligne Marc Delêtre. Mais s’ils peuvent rendre les systèmes agricoles des petits exploitants plus robustes aux agents pathogènes, en favorisant par exemple l'adoption de variétés résistantes aux maladies, ils peuvent aussi rendre ces systèmes plus vulnérables s'ils facilitent la dissémination des pathogènes transmis par les semences. Ce que nous avons montré, c'est que l’écosystème de ces virus comporte également une composante culturelle, et que les facteurs sociaux qui influencent la diversité des plantes cultivées et la structure génétique des populations de virus qu’elles hébergent. »

La mosaïque du manioc est l'une des maladies les plus importantes en Afrique pour les cultures. Elle peut causer jusqu’à 95 % de pertes sur une récolte. L’impact économique de la mosaïque est estimé entre 1,2 et 2,3 milliards de dollars chaque année. Afin de ralentir la propagation de ces pathogènes qui constituent une menace grave pour la sécurité alimentaire en Afrique, il est donc nécessaire de bien comprendre comment les systèmes sociaux peuvent favoriser la transmission des virus. 

Pour Jean-Michel Lett, co-auteur de l’article et spécialiste de la génomique et de l’épidémiologie des agents pathogènes émergents au Cirad, « ces nouvelles données contribuent aux études toujours plus nombreuses qui soulignent l’importance des réseaux sociaux d’échanges de semences pour la conservation de l’agrobiodiversité et la sécurité alimentaire, et devraient aider à concevoir des stratégies de lutte contre les maladies émergentes adaptées aux spécificités culturelles locales ».

Le professeur Charles Spillane, directeur de l'Institut Ryan à l’université de Galway (NUIG), ajoute par ailleurs que « la compréhension des différents systèmes sociaux est essentielle pour comprendre la transmission et l'évolution des virus à potentiel épidémique, qu'il s'agisse de virus infectant les humains, le bétail ou les cultures. L'épidémiologie génétique, combinée à une meilleure compréhension des interactions sociales responsables de la propagation des virus, produit des connaissances nécessaires aux actions de lutte contre la transmission des maladies virales, véritables catastrophes pour les populations les plus pauvres. Les résultats de cette recherche interdisciplinaire permettront d'élaborer de nouvelles approches pour réduire la menace que constituent les phytopathogènes émergents pour l’agriculture traditionnelle en Afrique. »

Référence

Marc Delêtre, Jean-Michel Lett, Ronan Sulpice, Charles Spillane. 2021. Kinship networks of seed exchange shape spatial patterns of plant virus diversity. Nature Communications.