Le clair de lune perturbe l’horloge circadienne des caféiers

Résultats & impact 22 janvier 2020
Une étude du Cirad démontre, pour la première fois, que la lumière de la lune, dont l’intensité est pourtant très faible, impacte le caféier au niveau moléculaire et perturbe son horloge circadienne. Mieux contrôler l’effet de ce type de lumière sur les cultures pourrait être particulièrement intéressant en horticulture et en maraîchage. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue BMC Plant Biology.
Une équipe scientifique, coordonnée par le Cirad, vient de démontrer l'effet de la lumière de lune sur l'expression des gènes du caféier. Photo Adobe stock © Michael

La science a démontré, par le passé, que le clair de lune comme le cycle lunaire pouvaient affecter les cycles biologiques de nombreux êtres vivants. Les plantes sont, quant à elles, particulièrement sensibles aux variations locales de gravité dues à la rotation de la lune autour de la terre qui affectent aussi bien leur croissance que leur développement. Ceci explique que de nombreux agriculteurs, jardiniers et forestiers suivent les cycles lunaires aussi bien pour les semis que les récoltes. Mais qu’en est-il de la lumière reflétée par la lune ?

L’effet de la lumière de la lune sur les plantes jusque-là inconnu !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune étude n’avait encore permis de répondre à cette question. Cela est d’autant plus surprenant que les plantes sont intimement liées à la lumière. C’est de la lumière qu’elles tirent l’énergie indispensable à leur croissance, mais aussi de nombreuses informations qui conditionnent leur développement. En tant qu’organismes photosynthétiques fixes, les plantes ont besoin de s’orienter dans le temps, à l’échelle d’une journée, mais aussi des saisons, ce qu’elles font grâce à des photorécepteurs connectés à leur horloge circadienne (cf encadré).

Un soir de pleine lune, un phénomène mystérieux dans une serre…

C’est en étudiant le cycle circadien des caféiers et ses perturbations liées au changement climatique, qu’une équipe du Cirad dirigée par Benoît Bertrand et Hervé Etienne, a remarqué une expression atypique de certains des gènes majeurs de l’horloge circadienne du caféier durant la nuit. Les plantes, placées dans une serre, avaient été échantillonnées exactement le jour du solstice de printemps, la nuit de la pleine lune. Intrigués par ce résultat, les scientifiques ont étudié la lumière de la lune, et entrepris de la reproduire, notamment en conditions contrôlées, car en réalité, la lumière de la lune est une lumière solaire reflétée (elle est très faible énergétiquement parlant, elle est composée essentiellement de lumière bleue et rouge sombre). « Ce que nous venons de révéler, c’est que ces longueurs d’onde de faible intensité sont perçues par les photorécepteurs des plantes comme des signaux environnementaux forts », explique Jean-Christophe Breitler, généticien, spécialiste du caféier au Cirad, basé au Mexique.

Un gène sur sept impacté par la lumière de la lune

« L’analyse du transcriptome des caféiers, c’est-à-dire de l’ensemble des gènes exprimés, toutes les trois heures durant 24h, en absence de lune ou lors de la pleine lune a permis de montrer que 3 387 des 25 574 gènes connus du café présentaient une expression atypique », poursuit le généticien. Des plantes placées dans un phytotron durant la pleine lune, donc ne recevant pas sa lumière, ont permis de démontrer que c’est bien la lumière qui agissait et non la modification locale de gravité.

« L’analyse des gènes différentiellement exprimés semble montrer que la lumière lunaire est perçue comme un stress par les caféiers. Non seulement, cette dernière perturbe les gènes de l’horloge circadienne, mais aussi de nombreux gènes sous leur contrôle comme ceux liés à la photosynthèse, à la biosynthèse des lipides, au contrôle de la croissance, ou encore à la réponse aux stress oxydatif et thermique ». Globalement, l’ensemble des résultats montre que cette lumière pourrait stresser les caféiers, même si la sur-expression de certains gènes pourraient laisser penser à un effet plutôt positif sur la croissance…

Les travaux se poursuivent pour mieux comprendre l’effet de ce type de lumière sur les plantes, notamment sur leur croissance, ce qui pourrait être particulièrement intéressant en horticulture et en maraîchage.

Qu’est-ce que l’horloge circadienne et comment fonctionne-t-elle ?

C’est un mathématicien et astronome Français, Jean-Jacques Dortous de Mairan qui a décrit le premier en en 1729 des rythmes circadiens ou périodes proche d’un jour, comme étant présents dans la plupart des organismes vivants. On peut citer pour les êtres humains, par exemple, le rythme veille-sommeil. Depuis les années 1950, ces rythmes sont connus comme étant la partie visible de l’action d’une horloge biologique interne qui a pour fonction de définir un temps subjectif. Des cyanobactéries, en passant par les champignons, les plantes ou les animaux, de très nombreux organismes possèdent de telles horloges.

La science moderne a révélé que l’horloge circadienne est constituée de facteurs de transcription majeurs, c’est-à-dire de protéines qui contrôlent l’expression de très nombreux gènes. Elle permet aux organismes d’anticiper les changements prévisibles dans l’environnement en ajustant leurs caractéristiques développementales et physiologiques. Chez les plantes, l’horloge oscille indépendamment de toute sollicitation externe, mais elle est recalée chaque jour par des donneurs de temps ou synchroniseurs que sont par exemple la lumière ou la température.

Référence

Full moonlight-induced circadian clock entrainment in Coffea arabica . BMC Plant Biology.
J-C. Breitler, D. Djerrab, S. Leran, L. Toniutti, C. Guittin, D. Severac, M. Pratlong, A. Dereeper, H. Etienne and B. Bertrand.