Science en action 17 septembre 2024
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Urbal ou comment identifier les impacts d’une innovation sur la durabilité des systèmes alimentaires
Les initiatives et innovations dans le domaine de l’alimentation fleurissent aujourd’hui dans de nombreuses villes du monde. Toutes les dimensions des systèmes alimentaires sont concernées, de la fourche à la fourchette. Toutefois il reste difficile pour les porteurs de projet, les décideurs, d’avoir une vision claire de leurs impacts en terme de durabilité. Des batteries d’indicateurs sont certes disponibles. Mais ces outils sont difficilement utilisables dans le cas d’innovations récentes, disposant de peu de moyens.
« Le projet Urbal cherche à élaborer un outil réflexif, facile d’utilisation, basé sur la participation et peu gourmand en ressources », expose Elodie Valette, géographe au Cirad et co-coordinatrice du projet. L’objectif ? Caractériser et se représenter – plutôt que mesurer – l’ensemble des impacts des innovations sur toutes les dimensions de la durabilité des systèmes alimentaires. « Plus précisément, il s’agit d’identifier des chemins d’impacts, c’est-à-dire des processus par lesquels les innovations produisent des changements pérennes » .
La méthodologie participative Urbal (Urban-Driven Innovations for Sustainable Food Systems) est actuellement testée dans dix villes du monde : Baltimore, Brasilia, Berlin, Cape Town, Hanoï, Milan, Mexico, Montpellier, Paris, et Rabat . « A terme, Urbal pourra accompagner la gouvernance des innovations, la décision de les soutenir ou constituer la première phase d’une quantification des impacts ».La méthode permet en effet d’identifier des impacts possibles ou observés, attendus ou imprévus, voulus ou contre-productifs. Au final, elle facilite le repérage des conditions de réussite, des risques et des points de vigilance dans la conduite des innovations. Focus sur trois des innovations étudiées à Brasilia (Brésil), Rabat (Maroc) et Montpellier (France).
Brasilia : quand les chefs cuisiniers valorisent, avec des petits agriculteurs, la biodiversité du Cerrado
Bien que deuxième plus grand biome après l’Amazonie, avec une savane très riche en biodiversité, le Cerrado est une région du Brésil où la biodiversité a toujours été délaissée au profit d’une agriculture intensive. Les surfaces de soja notamment s’y sont largement développées. Et pourtant, une vingtaine de chefs de cuisine engagés de la ville de Brasilia ont décidé de prendre le contre-pied de cet état de fait. Comment ? En valorisant à leur carte des produits issus de la biodiversité du Cerrado, en particulier les fruits comme le pequi, le baru, le cajuzinho, la cagaita et bien d’autres, la vanille du Cerrado. Leur objectif :créer une identité de la gastronomie de Brasilia autour du biome Cerrado. Ces chefs s’approvisionnent auprès de petits agriculteurs familiaux et de communautés indigènes dispersés au sein de cette très vaste région.
Le projet Urbal s’est intéressé à cette dynamique pour mettre à l’épreuve sa méthodologie. « Il en ressort que les produits issus du biome Cerrado sont d’une excellente qualité nutritionnelle, en comparaison des produits conventionnels, ce qui signifie un impact positif pour la santé du consommateur » , révèle Stéphane Guéneau, socio-économiste au Cirad. L’impact social et économique est notable pour ces petits agriculteurs grâce à la source de revenus générés par la vente de ces produits aux chefs mais aussi sur des marchés spécialisés qui se développent à Brasilia. Enfin, ces fruits sont généralement collectés à un niveau d’intensité faible, générant un impact positif pour l’environnement, car les petits agriculteurs et communautés traditionnelles conservent les espèces indigènes qui ont acquis une valeur. Mais le projet a également mis en évidence les risques de pression sur la ressource qui découlent d’une augmentation de la demande des consommateurs.
Rabat : quand les consommateurs certifient, avec des producteurs, les produits issus de l’agroécologie
Un système participatif de garantie (SPG) a été élaboré en 2017 par le Réseau des initiatives agro-écologiques au Maroc (RIAM) avec l’aide du Cirad, par le biais d’approches participatives. Tous les acteurs concernés (agriculteurs, consommateurs, distributeurs et restaurateurs) ont élaboré ensemble charte, cahier des charges, procédures de certification et de contrôle des fermes agroécologiques. Les visites annuelles de certification (ou de contrôle) pour chaque ferme sont réalisées par deux producteurs labellisés, et un enquêteur consommateur ou encore un épicier, garant de la neutralité du contrôle. Les produits issus de ces fermes agroécologiques sont aujourd'hui vendus sur le marché paysan de Rabat et dans plusieurs boutiques et restaurants de Rabat. Le RIAM souhaite poursuivre le développement du SPG dans d'autres villes comme Marrakech, Casablanca ou encore Mohammedia, où des producteurs et consommateurs souhaitent s'impliquer pour le faire vivre.
Deux campagnes de certification (2018, 2019) plus tard, quelles leçons peut-on tirer de ce système ? « En terme de gouvernance, les ateliers ont montré que le SPG apparait comme une forme renouvelée d'organisation paysanne au Maroc, permettant à la fois l'accès au marché, l'échanges de connaissances agricoles et donnant une nouvelle voie d'expression auprès des institutions publiques » , souligne Sylvaine Lemeilleur, économiste au Cirad. Les ateliers ont fait ressortir par ailleurs d’autres besoins des producteurs, comme l’accès aux semences bio, le besoin de points de vente, celui d’être accompagné en matière d’expertise en agroécologie, mais aussi la nécessité de communiquer autour du label "Maroc Agroécologie" du RIAM.
Montpellier : quand les consommateurs font fonctionner bénévolement un supermarché bio et local, dont ils sont propriétaires
La Cagette est un supermarché coopératif dont le capital est détenu par les consommateurs (participation de 100 euro, soit 10 parts à 10 euro) qui donnent 3h de leur temps par mois pour assurer son fonctionnement. L’un des objectifs est d’établir une relation plus étroite entre producteurs et consommateurs pour créer les conditions d’un aliment durable. « Un des impacts qui ressort clairement des enquêtes et de l’atelier que nous avons mené est la création d’un débouché alternatif pour des producteurs qui souhaiteraient sortir du système agro-industriel » , souligne Olivier Lepiller, sociologue au Cirad. Autre impact intéressant pour le consommateur cette fois : la cagette serait le moins cher en fruits et légumes bio, grâce à sa politique de marge fixe à 23 % (bien inférieure de ce qui est habituellement pratiqué dans le domaine du bio), à l’absence d’intermédiaires et de dépenses marketing.
Les acteurs du projet Urbal seront disponibles pour répondre aux questions des journalistes le 10 octobre sur le site Saint Charles, à la MSH Sud, à Montpellier à l’issue d’une table ronde qui a lieu de 9h30 à 11h30 sur le thème de la durabilité des systèmes alimentaires en clôture de la réunion des maires du Pacte de Milan à Montpellier.
*En collaboration avec Està, une ONG italienne, la Chaire UNESCO Alimentations du monde et l’Université Wilfrid Laurier au Canada et différents partenaires scientifiques pour chaque cas d'étude. Le projet Urbal (Urban-Driven Innovations for Sustainable Food Systems) est financé par Agropolis Fondation, la fondation Cariplo et la fondation Daniel and Nina Carasso dans le cadre de l’appel à projets Thought for Food.
Les grands principes de la méthode en cours de développement dans le cadre du projet Urbal s’inspirent d’une démarche déployée au Cirad pour évaluer l’impact de ses recherches : ImpresS.
La méthodologie développée dans Urbal s’intéresse à six dimensions de la durabilité alimentaire : socio-culturel, économie, gouvernance, environnement, nutrition et sécurité alimentaire.
Elle comporte trois étapes : la première consiste à caractériser l’innovation. La deuxième est un atelier participatif qui vise à identifier les impacts attendus de cette innovation et à envisager les impacts imprévus. La dernière étape est une restitution et une discussion des résultats de cet atelier aux parties prenantes et participantes (porteurs, bénéficiaires, usagers, experts…), ainsi qu’à celles qui soutiennent l’innovation (financeurs, collectivités, innovations similaires…).