Il est urgent d’agir pour nourrir la planète de façon durable

Plaidoyer 15 novembre 2018
Dans une Tribune parue le 15 novembre dans le journal Le Monde, les PDG du Cirad et de l’Inra appellent à repenser l’usage des terres mondiales pour produire une alimentation saine, diversifiée et de qualité, accessible à tous. Cet appel se fonde sur les résultats du travail de prospective « Agrimonde-Terra », qui s’est achevé avec la publication de l’ouvrage Land Use and Food Security in 2050: a Narrow Road disponible en ligne gratuitement sur le site des éditions Quae.
Enfants dans un champ de mil au Sénégal cultivé en agro-foresterie, dans le sud du bassin arachidier, Bambey © T. Brévault, Cirad
Enfants dans un champ de mil au Sénégal cultivé en agro-foresterie, dans le sud du bassin arachidier, Bambey © T. Brévault, Cirad

Enfants dans un champ de mil au Sénégal cultivé en agro-foresterie, dans le sud du bassin arachidier, Bambey © T. Brévault, Cirad

Pour s’orienter vers un scénario « sain » d’usage des terres mondiales, Philippe Mauguin, PDG de l’Inra, et Michel Eddi, PDG du Cirad, indiquent que des actions concertées entre de nombreux acteurs, en particulier « une coopération entre producteurs et entreprises agroalimentaires, société civile et gouvernements » , et « des politiques publiques fortes » sont nécessaires.

Ils appellent à concevoir et mettre en œuvre :

  • des politiques alimentaires et de santé pour consommer davantage de fruits, de légumes, de légumineuses, une plus grande diversité de céréales, et moins d’huiles, de sucres et de produits animaux (avec des variations selon les régions du monde) ;
  • des politiques agricoles, environnementales et climatiques favorisant des pratiques agro-écologiques qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre et la dégradation des milieux, et mettent l’accent sur les interactions entre les composants biologiques des systèmes plutôt que sur l’apport massif d’intrants chimiques ;
  • des politiques de développement et d’aménagement favorables à l’intensification des relations entre les zones rurales et urbaines et qui favorisent l’emploi en milieu rural.

Ils soulignent que « l’interdépendance des problèmes à traiter et l’impact environnemental planétaire » obligent à penser des stratégies et politiques intersectorielles à la fois « globale, nationale, régionale, et territoriale » et à mettre en œuvre des systèmes agricoles et alimentaires « beaucoup plus intensifs en savoirs » plutôt que consommateurs en ressources naturelles.
Des politiques publiques qui doivent être « pragmatiques », promouvoir la responsabilité sociétale et environnementale, afin de prendre en compte « les limites des ressources naturelles, le rôle de la matière organique du sol, pivoter vers une économie verte et jouer sur les complémentarités des secteurs public et privé » peut-on lire dans l’ouvrage Land Use and Food Security in 2050: a Narrow Road (chap. 17, p. 340).

Les investissements publics doivent être conçus pour engager le secteur privé vers le scénario « sain ». Un scénario qui nécessite la collaboration de tous les acteurs, économiques, sociaux et environnementaux.

La démarche Agrimonde-Terra est là pour aider les décideurs à identifier les leviers d’action à déployer pour s’orienter vers « les transformations indispensables de l’usage des terres pour préserver l’environnement, atténuer le changement climatique, garantir aux populations une alimentation saine et favoriser un développement rural plus inclusif » , précisent Philippe Mauguin et Michel Eddi dans le journal Le Monde .

« Cette prospective nourrit le dialogue entre science et société pour stimuler le partage des savoirs et la construction d’un avenir durable pour tous ».

En utilisant la prospective Agrimonde-Terra, la Tunisie a construit un scénario de développement agricole axé sur l'agro-écologie. Une centaine de cadres du Ministère de l'agriculture et des ressources hydrauliques à la prospective se sont formés à la démarche en vue de préparer les futures politiques agricoles du pays. © D. Lacroix

En utilisant la prospective Agrimonde-Terra, la Tunisie a construit un scénario de développement agricole axé sur l'agro-écologie. Une centaine de cadres du Ministère de l'agriculture et des ressources hydrauliques à la prospective se sont formés à la démarche en vue de préparer les futures politiques agricoles du pays. © D. Lacroix

Un système alimentaire mondial à repenser

Dans la démarche de prospective Agrimonde-Terra , où cinq scénarios* ont été élaborés, seul le scénario dit « sain » permet à la fois de limiter l’expansion des superficies dédiées à l’agriculture, et donc la déforestation, et de réduire la malnutrition, la sous et la surnutrition au niveau mondial en 2050, tout en tenant compte des enjeux climatiques. Nourrir de façon saine, durable et équitable la population mondiale, qui pourrait atteindre près de 10 milliards en 2050, nécessite ainsi une triple transformation : des régimes alimentaires, d’une part, des systèmes de production agricole d’autre part, et enfin, des chaînes d’approvisionnement.

L’impact du système alimentaire actuel mondial sur l’environnement et le climat est en effet important et pourrait augmenter de 50 à 90 % en 2050 sans mesures dédiées, selon les auteurs d’un article paru dans Nature en octobre. Un précédent article du groupe de Milan, dont fait partie le Cirad, et publié en partenariat avec l’Inra, appelait déjà en août à une transformation profonde de notre système alimentaire.

* Quel que soit le scénario envisagé, le commerce international restera essentiel pour assurer la sécurité alimentaire mondiale pointe Agrimonde-Terra, tout comme le rappelle le dernier rapport de la FAO sur le commerce agricole, le changement climatique et la sécurité alimentaire.