Grande muraille verte : face à la dégradation des terres au Sahel, des réponses ciblées et concertées sont nécessaires

Plaidoyer 28 janvier 2021
Un nouveau souffle vient d’être donné au projet pharaonique de la Grande muraille verte lors du One planet Summit il y a 2 semaines. Pour mener à bien cette initiative panafricaine colossale, la concertation avec les populations locales et le dimensionnement d’actions adaptées aux territoires doivent être de mise, alertent les scientifiques du Cirad. Exemples de trois projets qui visent à lutter contre la dégradation des terres au Sahel, qui prennent en compte ces besoins.
Pour le Cirad, la lutte contre la dégradation des forêts et des terres au Sahel passe nécessairement par la mobilisation des populations locales et la prise en compte leurs besoins © R. Belmin, Cirad
Pour le Cirad, la lutte contre la dégradation des forêts et des terres au Sahel passe nécessairement par la mobilisation des populations locales et la prise en compte leurs besoins © R. Belmin, Cirad

Pour le Cirad, la lutte contre la dégradation des forêts et des terres au Sahel passe nécessairement par la mobilisation des populations locales et la prise en compte leurs besoins © R. Belmin, Cirad

Lancée officiellement en 2007, la Grande muraille verte ambitionnait d’ériger d’ici 2025 un rideau de verdure sur près de 8000 km, du Sénégal à l’Ethiopie, en vue de lutter contre la dégradation des sols au Sahel. Alors que seulement 5 % des objectifs fixés ont été atteints aujourd’hui, une centaine d’organisations africaines et européennes, dont le Cirad, ont signé la charte constitutive de l'International Agroecological Movement for Africa (IAM Africa), qui vise à développer l’agroécologie en Afrique. L’un des objectifs de l’ambitieuse initiative IAM est de redonner une dynamique au projet de la Grande muraille verte.

L’échec des reboisements « top-down »

« Le retour d’intérêt des politiques et des donateurs pour la restauration des terres et des écosystèmes dégradés de la zone sahélienne est extrêmement positif , se félicite Amah Akodewou, chercheur au Cirad. Cependant, nous recommandons des approches avant tout sociales et participatives, et non des approches top-down, comme il a pu y en avoir précédemment. »

Pour Amah Akodewou et ses collègues, des actions menées sans concertation avec les acteurs locaux sont vouées à l’échec. « Dans de nombreux cas, le choix des zones ou des espèces plantées n’ont pris en compte ni les savoirs, ni les besoins des usagers. Ces programmes ont constitué un gâchis économique, social et écologique, dans la mesure où ils ne respectaient ni les droits des populations sur l’usage de la terre, ni la végétation naturelle. » Plinio Sist, directeur de l’unité Forêts et sociétés du Cirad, rappelle aussi que planter des arbres n'est pas si simple, surtout au Sahel : « Les jeunes plants nécessitent des soins et de l'attention les premières années et cela ne peut aboutir sans l'aval et la participation des communautés locales. »

Alors, comment lutter contre la dégradation des forêts et des terres au Sahel, en mobilisant les populations locales et prenant en compte leurs besoins ? Réponses en trois exemples.

Concilier demande énergétique, lutte contre la pauvreté et préservation des forêts sahéliennes

Depuis 2014, le projet Fonabes* , coordonné par le Cirad, se consacre à organiser l’approvisionnement durable en énergie domestique (bois de feu et charbon de bois) des villes de Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger) et Bamako (Mali). La demande en bois-énergie au Sahel augmente avec la hausse démographique de la zone. Les besoins quotidiens en énergie, pour la cuisson ou le chauffage, exercent une pression considérable sur les ressources forestières, dont l’exploitation accélérée constitue l’une des principales causes de la dégradation des forêts et des sols dans la région.

Si la conservation des écosystèmes forestiers sahéliens est l’un des objectifs principaux de Fonabes, c’est en améliorant les conditions de vie des populations rurales que le projet compte y parvenir. Fonabes s’est ainsi attaché à garantir une répartition juste des revenus et bénéfices pour les différents acteurs de la chaîne du bois : bûcherons et charbonniers producteurs, communes, commerçants-transporteurs, grossistes urbains et enfin consommateurs.

« Pour certaines communautés rurales, ces revenus générés par l’exploitation et la commercialisation du bois-énergie sont une question de survie, rappelle Pierre Montagne, agro-économiste au Cirad. Ces populations n’ont aucune raison de s’investir dans des actions de gestion durable des ressources si cela ne leur bénéficie pas. »

Fonabes prendra fin en 2021. Des actions de régénération naturelle assistée devraient suivre dans la région de Niamey au Niger, qui permettra de développer l’agroforesterie et répondre à la demande énergétique rurale croissante.

Mieux répartir les revenus et bénéfices pour les différents acteurs de la chaîne est l’un des objectifs du projet Fonabes : bûcherons (ici, au Niger) et charbonniers producteurs, communes, commerçants-transporteurs, grossistes urbains et consommateurs © P. Montagne, Cirad

Mieux répartir les revenus et bénéfices pour les différents acteurs de la chaîne est l’un des objectifs du projet Fonabes : bûcherons (ici, au Niger) et charbonniers producteurs, communes, commerçants-transporteurs, grossistes urbains et consommateurs © P. Montagne, Cirad

Mieux répartir les revenus et bénéfices pour les différents acteurs de la chaîne est l’un des objectifs du projet Fonabes : bûcherons (ici, au Niger) et charbonniers producteurs, communes, commerçants-transporteurs, grossistes urbains et consommateurs © P. Montagne, Cirad

L’agroécologie au service d’une intensification durable de l’agriculture sahélienne

La hausse démographique au Sahel s’accompagne d’un accroissement des besoins alimentaires, exacerbant les pressions sur une agriculture par ailleurs fragilisée par les changements climatiques. Face à ce constat, l’intensification des systèmes agricoles sahéliens apparaît comme primordiale. L’agroécologie, parti-pris du projet Fair ** qui a démarré en 2020 au Burkina Faso, Sénégal et Mali, se présente comme une voie privilégiée pour concilier intensification agricole et préservation des ressources naturelles .

« Pendant 4 ans, nous souhaitons mettre en place avec les producteurs des innovations agroécologiques permettant d’améliorer leurs conditions de vie, tout en pesant moins sur les ressources naturelles , précise Eric Scopel, spécialiste des transitions agroécologiques au Cirad. Mais l’originalité est surtout de revisiter les processus collectifs à l'œuvre entre les producteurs et les acteurs de la recherche et du développement, pour rendre pérenne l’appropriation de ces innovations dans les zones rurales. »

A Niakhar, au Sénégal, des doctorants récoltent et découpent du mil pour évaluer la biomasse produite sur une parcelle expérimentale en agroforesterie © C. Dangléant, Cirad

A Niakhar, au Sénégal, des doctorants récoltent et découpent du mil pour évaluer la biomasse produite sur une parcelle expérimentale en agroforesterie © C. Dangléant, Cirad

A Niakhar, au Sénégal, des doctorants récoltent et découpent du mil pour évaluer la biomasse produite sur une parcelle expérimentale en agroforesterie © C. Dangléant, Cirad

L’intensification agroécologique permet de rémunérer décemment les agriculteurs, nourrir sainement les populations, tout en protégeant les ressources naturelles. Les petits producteurs de trois pays sahéliens pourront miser sur l’adoption de ces nouvelles méthodes pour améliorer leurs conditions de vie et la résilience de leur exploitation.

Les écosystèmes agrosylvopastoraux comme outils de séquestration de carbone au Sahel

Les plantations arborées imaginées pour la Grande muraille verte devraient participer à améliorer les capacités de stockage de carbone de la région sahélienne, tout en luttant contre la dégradation des terres et des paysages. Mais c’est également ce à quoi contribuent les activités de pastoralisme, sur lesquelles travaille le projet Cassecs ***. Mis en œuvre dans six pays sahéliens (Sénégal, Burkina-Faso, Niger, Mali, Mauritanie, Tchad), Cassecs ambitionne de quantifier l’impact de l’élevage sur le changement climatique et contribuer à l’élaboration de politiques d’élevage adaptées dans la région.

Au Sahel, l’élevage pastoral valorise un milieu extrême. Alors qu’il est accusé d’émettre trop de gaz à effet de serre par kilogramme de lait ou de viande produit, une recherche menée au Sénégal montre que les territoires pastoraux peuvent en réalité avoir un bilan carbone neutre : les émissions d’origine animale sont compensées par la séquestration de carbone dans les sols et la végétation.

A travers le projet Cassecs, qui est porté par l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), les équipes de terrains imaginent avec les éleveurs des systèmes agropastoraux efficients , puis participent à diffuser les bonnes pratiques entre les territoires aux caractéristiques similaires. Le Cirad, en tant que partenaire de Cassecs, vise également à mettre en place des actions de plaidoyer auprès d’acteurs nationaux et internationaux, afin de faire acter l’utilité des systèmes agropastoraux pour la région.

« La mobilité pastorale au Sahel est l’une des clés pour préserver à la fois les populations et l’équilibre des écosystèmes, affirme Paulo Salgado, spécialiste de l’intégration entre les activités d’agriculture et d’élevage au Cirad. D’ici la fin du projet Cassecs en 2023, nous souhaitons modifier la vision de l’impact négatif de l’élevage agropastoral sur l’environnement. »

Alors que 200 millions d’éleveurs et leurs familles vivent du pastoralisme dans le monde, cette activité agricole reste peu connue. Pourtant la participation de l’élevage pastoral aux PIB nationaux est loin d’être négligeable, d’autant que le pastoralisme fournit bien des services © S. Taugourdeau, Cirad

Alors que 200 millions d’éleveurs et leurs familles vivent du pastoralisme dans le monde, cette activité agricole reste peu connue. Pourtant la participation de l’élevage pastoral aux PIB nationaux est loin d’être négligeable, d’autant que le pastoralisme fournit bien des services © S. Taugourdeau, Cirad

Alors que 200 millions d’éleveurs et leurs familles vivent du pastoralisme dans le monde, cette activité agricole reste peu connue. Pourtant la participation de l’élevage pastoral aux PIB nationaux est loin d’être négligeable, d’autant que le pastoralisme fournit bien des services © S. Taugourdeau, Cirad

Chacun à leur manière, ces trois projets contribuent à lutter contre la dégradation des terres au Sahel, tout en améliorant les conditions de vie des sahéliens. Loin d’une vision homogène du Sahel, Fonabes, Fair et Cassecs partagent la richesse et la diversité des pays, des régions et des pratiques de cette zone. Si elle souhaite donner vie au projet de la Grande muraille verte, l’initiative IAM Africa devra nécessairement soutenir les projets pensés avec les populations locales.

 

* Le projet Fonabes est doté d’un budget de 1 500 000 € du Fonds français pour l’environnement mondial (2014 à 2019) puis de 350 000 € de l’Agence française de développement (2020-2021).

** Le projet Fair est co-financé à hauteur de 9 millions d’euros par l’Union européenne et l’Agence française de développement.

*** Le projet Cassecs est financé par l'Union Européenne à hauteur de 2 millions d'euros.