Réviser le soutien public à l'agriculture pour atténuer le changement climatique

Vient de sortir 4 août 2020
Le monde doit à la fois nourrir une population croissante et réduire de deux tiers les émissions de gaz à effet de serre. Les financements publics ont un rôle majeur à jouer pour aider les agriculteurs à atteindre ces objectifs. Dans un nouveau rapport pour la Banque mondiale, huit experts de haut niveau, dont Patrice Dumas du Cirad, estiment que les 600 milliards de dollars consacrés chaque année par les gouvernements au soutien de l'agriculture pourraient être mobilisés différemment.
Cultiver plus de nourriture signifie également atténuer les effets du changement climatique © A. Rival, Cirad

Entre 2014 et 2016, les pays producteurs des deux tiers de l'agriculture mondiale ont apporté un soutien financier de 600 milliards de dollars par an en moyenne à ce secteur . La moitié de ce soutien a pris la forme de dépenses publiques directes ou d'avantages fiscaux ciblés, l'autre moitié, de mesures de marché qui augmentent les prix pour les consommateurs. Un récent rapport de la Banque mondiale examine dans quelle mesure ce soutien contribue à stimuler la production agricole et à réduire les émissions de l'agriculture, et comment les programmes de soutien pourraient être modifiés pour mieux servir ces objectifs.

L'agriculture génère environ 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Sans atténuation, les émissions agricoles actuelles - environ 12 milliards de tonnes par an d'équivalent dioxyde de carbone (eq. CO2) - devraient passer à 15 milliards de tonnes par an d'ici 2050. Si c'est le cas, l'agriculture utilisera à elle seule jusqu'à 70 % du budget annuel des émissions autorisées pour toutes les émissions humaines, énergie comprise, qui seront nécessaires pour maintenir le réchauffement au niveau des objectifs climatiques internationaux. Le levier d'atténuation le plus prometteur se situe dans l'efficacité avec laquelle l’agriculture utilise les ressources naturelles et les intrants chimiques.

Une façon d'y parvenir serait de produire davantage de nourriture par hectare, par animal et par kilogramme d'engrais et autres produits chimiques. Une autre consiste à introduire des mesures conditionnant ces gains de productivité à la protection des forêts et autres habitats naturels. Enfin, une autre option consiste à poursuivre les innovations, car la réalisation des objectifs climatiques pour l'agriculture nécessite de nouvelles technologies et approches.

Afin d’évaluer les programmes de soutien actuels, les auteurs du rapport ont analysé les données de l'OCDE qu’ils ont complétées par des études de terrain au sein de chaque pays. Malgré quelques bons exemples, la plupart des aides publiques ne contribuent que faiblement à accroître les rendements tout en réduisant les émissions de GES. Plus précisément, les auteurs du rapport constatent que sur les 600 milliards de dollars de soutien public annuel, seuls 5 % sont dédiés à un objectif de conservation et 6 % seulement soutiennent la recherche et l'assistance technique. 70 % de ce montant constituent des aides au revenu.

Les dépenses assignées aux programmes de conservation, bien que modestes, sont en augmentation, mais pourraient être mieux utilisées. En outre, ces programmes ont surtout permis de restaurer des forêts plantées, qui stockent moins de carbone et rassemblent parfois une biodiversité plus réduite que les terres agricoles qu'elles remplacent. Dans de nombreux pays, dont les États-Unis et les pays membres de l'Union européenne, des efforts ont été faits pour conditionner le soutien financier au respect de conditions environnementales, mais les auteurs du rapport constatent que ces conditions ont été pour la plupart très faibles.

Cependant, tout n'est pas sombre : des études nationales ou régionales ont mis en évidence certains domaines où des progrès ont été réalisés. Le rapport formule ainsi plusieurs recommandations :

  • Conditionner l'aide financière apportée aux exploitations agricoles à la protection des forêts et autres zones indigènes, sur le modèle du Brésil.
  • Orienter, sur l’exemple des États-Unis et de l'Union européenne, la majeure partie de l’aide à la conservation afin de faire collaborer les producteurs et les scientifiques pour le développement des innovations.
  • Allouer les fonds aux agriculteurs en fonction des conditions environnementales et distribuer l'aide de manière à améliorer l'environnement, notamment en atténuant les effets du changement climatique.
  • Utiliser des systèmes de paiements gouvernementaux "progressifs" qui récompensent les agriculteurs pour leurs performances de plus en plus élevées
  • Soutenir, pour les pays à forte consommation d'engrais uniquement, une utilisation plus efficace des intrants, sinon adopter une approche plus équilibrée pour stimuler la fertilisation.
  • D'une manière générale, restaurer les terres agricoles, sur les tourbières riches en carbone et les terres à productivité agricole limitée, en utilisant la végétation naturelle.

Le rapport indique ainsi aux gouvernements du monde entier que la première étape vers un avenir alimentaire durable consiste à mieux utiliser le soutien financier qu'ils fournissent déjà. Il s'inscrit dans le concept de "croissance verte" préconisé par la Banque mondiale, qui consiste à équilibrer les investissements en mettant l'accent sur la croissance des revenus à court terme pour réduire la pauvreté, et les investissements dans le maintien de la richesse environnementale à plus long terme.

Searchinger, Timothy D., Chris Malins, Patrice Dumas, David Baldock, Joe Glauber, Thomas Jayne, Jikun Huang, and Paswel Marenya. 2020. “ Revising Public Agricultural Support to Mitigate Climate Change". Development Knowledge and Learning. World Bank, Washington, DC