Afrique de l’Ouest : la diversité des produits laitiers menacée par les importations

Science en action 12 juin 2019
La grande diversité de produits laitiers ouest-africains constitue une richesse culturelle qui est aujourd’hui menacée. En cause : l’urbanisation croissante, le faible soutien des pouvoirs publics aux filières locales et surtout la concurrence internationale avec de la poudre de lait importée et bon marché. La reconnaissance de ce patrimoine culinaire passe par une meilleure caractérisation des produits, des techniques et des savoir-faire. Cette tradition laitière pourrait même contribuer à dynamiser le marché et représenter un immense levier de développement économique pour la région. Ces conclusions seront présentées à la 3e édition du Symposium international « Le lait, vecteur de développement », co-organisé par le Cirad, l’Inra et l’Isra.
Des livreuses de lait dans un campement Peul au nord du Bénin © G. Duteurtre, Cirad

Le lait est au cœur de la tradition africaine. C’est un aliment noble, marqueur des sociétés pastorales. Il est consommé sous forme de lait frais, de lait caillé, de crème de beurre, d’huile de beurre, de boissons lactées, de fromages, de bouillies ou de couscous... Cette diversité des produits représente un véritable patrimoine qui contribue à forger les identités locales.

Mais cette richesse culturelle n’est pas figée. Elle évolue sous l’effet de plusieurs facteurs comme l’urbanisation, et plus inquiétant, elle est même menacée par d’autres phénomènes tel le faible soutien des pouvoirs publics aux filières de production locales et surtout la concurrence internationale accrue.

Grâce à de nombreux partenariats en Europe et en Afrique de l’Ouest, Guillaume Duteurtre, agro-économiste au Cirad, cherche à mieux comprendre l’impact du commerce international sur la tradition laitière africaine et les filières locales. Le chercheur va présenter ses travaux aux 200 acteurs du secteur laitier de 25 pays réunis à Dakar (Sénégal) pour la 3e édition du symposium « Lait, vecteur de développement », ces 12 et 13 juin 2019.

De la poudre de lait ré-engraissée exportée en Afrique de l’Ouest

Depuis quelques années, le marché ouest-africain est en forte hausse du fait de la croissance démographique. Il est devenu particulièrement attractif pour les industries et les multinationales laitières, si bien qu’aujourd’hui plusieurs grands groupes européens sont installés dans la région. En revanche, ces groupes sont peu impliqués dans le développement de la production laitière locale puisqu’ils utilisent principalement du lait en poudre importée… d’Europe. Une conséquence directe de la hausse de la demande mondiale en beurre et de la levée des quotas laitiers imposés par l’Union européenne à ses producteurs jusqu’en mai 2015. La fabrication du beurre laisse aux industriels européens de grandes quantités de poudre de lait écrémé. Ce « sous-produit » est ré-engraissé avec des matières grasses végétales, bien souvent de l’huile de palme, puis vendu 30% moins cher en Afrique de l’Ouest. Un phénomène expliqué dans une petite vidéo de la campagne N’exportons pas nos problèmes*, basée sur une étude du Cirad.

Une concurrence rude pour les producteurs laitiers ouest-africains

« Les mélanges de lait en poudre enrichis en matière grasse végétale concurrencent le lait local, explique Guillaume Duteurtre. Ils sont commercialisés sous l’appellation de "lait en poudre", alors qu’il ne s’agit pas d’un produit laitier au sens strict, et les consommateurs et les transformateurs l’utilisent de plus en plus en raison de son prix. Dans le même temps, de nombreux produits traditionnellement consommés dans les zones pastorales ne sont plus commercialisés en ville. C’est le cas par exemple, des laits fermentés, des beurres solides ou clarifiés et de certains fromages traditionnels. Il est important que les acteurs de la filière s’organisent pour valoriser ce patrimoine laitier et le défendre contre les importations de poudre.  »

Soutenir la production laitière locale

Ces questions sont loin d’être marginales en Afrique de l’Ouest où l’élevage représente une part importante de l’économie. Au Mali, par exemple, 30 % de la population vit directement de cette activité. Pour l'agro-économiste, « la reconnaissance et la valorisation économique de ce patrimoine laitier passent par une meilleure caractérisation des produits, des techniques et des savoir-faire, sources de typicité et de compétitivité. En outre, une meilleure intégration de l’élevage aux économies nationales pourrait constituer un levier de développement puissant, notamment au Sahel, région pastorale par excellence.  » Bien qu’encore timide, l’intérêt croissant pour la collecte de lait local se manifeste par une volonté politique, comme l’illustre notamment l’offensive régionale « lait local » de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) lancée très prochainement.

La tradition laitière pourrait dynamiser le marché

La richesse de la tradition laitière est une chance pour l’Afrique. Elle constitue un des ressorts de la vitalité des marchés laitiers. Déjà, de nombreux industriels et des transformateurs artisanaux mobilisent des noms locaux ou des savoir-faire laitiers typiquement africains dans leurs gammes de produits. En Afrique comme ailleurs, les cultures laitières sont en pleine mutation. Elles s’inscrivent dans une nouvelle vision d’une modernité locale, où innovations et traditions se complètent.

Les multiples noms du lait

En langue peule du sud du Burkina Faso, le lait peut changer 6 fois de nom en 24 heures ! Le lait de la traite est appelé biraddam. Il est mélangé avec le lait de plusieurs vaches dans une grande calebasse pour être chauffé. Après filtration, le lait à boire (t’obbam) est séparé du lait destiné à la vente (sippété) et du lait qui sera fermenté après un repos de 2 heures (hittuddam). Ce lait à fermenter se transforme toute une nuit en un lait caillé doux (lèl d’an) puis en un lait caillé aigre (t’anidda). Ce lait caillé deviendra Kossam une fois écrémé.

* Lancée par SOS Faim, Oxfam, Vétérinaires sans frontières et un collectif de producteurs ouest-africains