Plinio Sist : « Il est urgent d’agir pour la restauration des écosystèmes forestiers tropicaux à l’échelle des territoires »

Regard d'expert 21 mars 2019
Le phénomène de déforestation n’est pas récent. Celui de déforestation massive l’est beaucoup plus. Or celle-ci relève depuis plusieurs décennies déjà d’une problématique environnementale et sociétale cruciale. Les principales stratégies à l’œuvre aujourd’hui pour lutter contre le phénomène mettent l’accent d’une part sur la conservation des forêts existantes et d’autre part sur la restauration des forêts dégradées. Le point avec Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés du Cirad à l’occasion de la Journée internationale des Forêts le 21 mars.
Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés du Cirad. DR

Quelle est la situation des forêts mondiales en termes de déforestation à l’heure actuelle ?

Plinio Sist : Aujourd’hui, les forêts couvrent près du tiers des surfaces émergées de la planète, soit un peu moins de 4 milliards d’hectares. La moitié de ces forêts se situent en région tropicale. Chaque année depuis près de trente ans, 5 millions d’hectares de forêts sont perdus principalement en raison de leur conversion en terres agricoles ou en plantations industrielles. Et l’essentiel de cette déforestation se produit en région tropicale.

Depuis toujours, les forêts y compris les forêts tropicales ont été utilisées, voire façonnées par les hommes. Aujourd’hui, la plupart des forêts tropicales ont été perturbées de façon plus ou moins forte par les sociétés humaines.

Lorsque les forêts ont été exploitées pour leur bois d’œuvre, elles se reconstituent lentement. En outre, les forêts dont les espèces les plus précieuses ont été prélevées sont alors considérées comme sans valeur et converties en terre agricole, plantation industrielle ou pâturage. Or de nombreuses études montrent que ces forêts abritent encore une biodiversité très élevée, très proche des forêts non perturbées et stockent plus de 80 % du carbone présent avant l’exploitation.

Au sein même des forêts dites primaires, la présence humaine est attestée par de nombreux vestiges archéologiques, y compris dans les grands massifs forestiers comme l’Amazonie ou le bassin du Congo. Néanmoins, si les êtres humains sont souvent à l’origine de la disparition des forêts, ils peuvent aussi être des acteurs clés dans leur préservation.

Quelles sont les actions préconisées à l’heure actuelle pour lutter contre la déforestation dans le monde et notamment dans les régions tropicales où elle est la plus forte ?

P. Sist : La forêt a toujours été un lieu de ressources pour les êtres humains. Elle fournit aux populations du gibier, des fruits, des résines, des fibres, du fourrage, des médicaments, des colorants… et bien évidemment du bois. Elle joue en outre un rôle fondamental dans la régulation du climat. Les changements climatiques générés par la disparition des forêts ont par ailleurs des conséquences directes sur la productivité agricole.

La préservation des forêts tropicales ne peut donc se faire qu’avec l’implication des populations et de la société en général. Il est essentiel par ailleurs que ces populations puissent profiter d’une valorisation économique des ressources et des services fournis par ces écosystèmes.

Mais pour cela, l’enjeu consiste à développer des pratiques de gestion durable de ces ressources.

Une fois le bois d’œuvre exploité les forêts perturbées sont souvent considérées comme étant dépourvues de toute valeur économique. Or, Les forêts ne sont pas uniquement des sources de bois, elles fournissent des services environnementaux clés qui dépassent largement la valeur économique du bois d’œuvre notamment en termes de biodiversité et de stockage de carbone. A l’heure où nous vivons une période d’extinction massive et rapide des espèces que l’on appelle d’ailleurs l’Anthropocène, il convient donc, en premier lieu, que les décisions liées à la gestion des territoires et à l’utilisation des terres prennent en compte le rôle essentiel joué par ces forêts perturbées.

En parallèle de la conservation, il est urgent de mettre en place des actions de restauration des écosystèmes forestiers tropicaux. A l’échelle des territoires, ces actions permettront de rétablir la fonctionnalité écologique des terres dégradées telles que la fertilité des sols, la fonction de puits de carbone, celle de régulation des crues, etc.

La restauration des forêts dégradées est de plus en plus prégnante dans les discours. Comment est-il prévu qu’elle se déploie également sur le terrain ?

P. Sist : On dénombre aujourd’hui plus de 2 milliards d’ha de terres dégradées issues de la déforestation. On estime que cette dégradation des terres compromet le bien-être de plus de 3 milliards de personnes dans le monde. Il y a donc là un enjeu à la fois environnemental, social et économique. La restauration des paysages forestiers vise à inverser le processus de dégradation des sols, des zones agricoles, des forêts et des bassins versants, à l’échelle des territoires, afin que ceux-ci recouvrent leur fonctionnalité écologique. Elle peut se traduire par diverses formes d’actions comme l’introduction volontaire d’essences plus variées et nombreuses dans les jardins, les exploitations agricoles, les champs et les forêts, ou par une régénération naturelle des écosystèmes souffrant de surpâturage, de pollution ou d’une surexploitation quelconque.

Ces différentes actions doivent être réalisées de façon concertées à l’échelle du territoire. Elles visent essentiellement à améliorer la productivité des paysages et leur capacité à répondre aux besoins divers et évolutifs de la société.

Le Bonn Challenge lancé en 2011 ambitionne de restaurer 350 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030. A l’heure actuelle, peu d’actions ont encore été mises en place sur le terrain, l’essentiel de l’initiative s’étant concentrée sur l’engagement des pays dans l’initiative. Néanmoins, plus de 50 pays y ont adhéré et se sont engagés à promouvoir la restauration des paysages. Leurs engagements représentent aujourd’hui un total de plus de 170 millions d’hectares. Le principal enjeu désormais est donc de concrétiser ces engagements. La restauration de 350 millions d'hectares de terres dégradées d'ici à 2030 pourrait générer des services écosystémiques d’une valeur de 9 000 milliards de dollars et éliminer de l’atmosphère 13 à 26 gigatonnes supplémentaires de gaz à effet de serre.

Les Nations Unies ont bien compris l’urgence de mettre en place des actions concrètes de restauration puisque son assemblée générale a décrété le 1er mars dernier, la période 2021-2030 comme la décennie de la restauration des écosystèmes pour renforcer sa mise en place sur le terrain.

Le Cirad est largement impliqué dans cette aventure.