Aquaculture et durabilité : amorcer les transitions en Asie du sud-est

Science en action 3 juillet 2023
Des élevages en association avec des cultures de riz ou encore la réutilisation des déchets via une production circulaire : face aux changements globaux, les solutions pour une aquaculture durable et résiliente fusent. L’enjeu est de taille : le secteur présente le plus fort taux de croissance sur le marché des protéines animales d’élevage, dépassant même celui de la volaille.
Expérience en rizipisciculture effectuée à l'Université Royale d'agriculture, Phnom Penh, au Cambodge © Cirad
Expérience en rizipisciculture effectuée à l'Université Royale d'agriculture, Phnom Penh, au Cambodge © Cirad

Expérience en rizipisciculture effectuée à l'Université Royale d'agriculture, Phnom Penh, au Cambodge © Cirad

Poissons, crevettes et mollusques d’élevage comptent pour plus de la moitié de la consommation mondiale d’organismes aquatiques, l’autre partie étant assurée par la pêche. En Asie du sud-est, ces produits tiennent une place essentielle dans le régime quotidien : cette région concentre 50 % du poisson consommé à l’échelle mondiale. Avec près de 90 % des produits aquacoles en provenance d’Asie, le secteur pèse lourd tant dans l’économie locale que sur le marché mondial.

En outre, les élevages aquacoles connaissent de forts taux de croissance et s’accompagnent d’une intensification de l’activité. Dans de nombreuses fermes, cette intensification se fait au détriment des ressources hydriques et foncières, de l’environnement et de la santé des poissons. Si le secteur souhaite conserver son dynamisme, la transition vers des pratiques plus durables devient vitale. Les scientifiques du Cirad s’emploient, avec leurs partenaires, à trouver des solutions adaptées aux contextes locaux.

Des cultures intégrées de riz et poissons

Les scientifiques du Cirad cherchent à développer des systèmes d’intensification agroécologique des élevages de poissons. Par exemple, via l’association de l’aquaculture et de la riziculture (aussi appelée rizipisciculture) et le programme de Développement des Filières Piscicoles (DEFIP), porté par l’APDRA et dont les actions au Cambodge sont assurées par l’ONG Trailblazer Cambodia Organization. L’objectif de ces systèmes combinant cultures et élevages est d’augmenter la résilience des paysans, en multipliant les types de production. Un aléa climatique ou sanitaire sur une des deux activités devient ainsi moins menaçant, puisque les revenus peuvent être assurés via la vente d’autres produits.

Pour Jean-Michel Mortillaro, chercheur en écologie aquatique au Cirad et spécialiste des systèmes aquacoles : « Beaucoup de riziculteurs au Cambodge se concentrent sur un ou deux cycles de culture autour de la saison des pluies. Le problème, c’est qu’ils sont dépendants de la pluviométrie, qui devient de plus en plus irrégulière et imprévisible avec le changement climatique. La rizipisciculture favorise la gestion de la ressource en eau, pour une aquaculture intelligente face au climat, et permet d’améliorer la résilience des exploitations grâce à des agrosystèmes diversifiés. »

La gestion des déchets pour une production circulaire

Outre le changement climatique, un autre défi majeur pour l’aquaculture concerne la pollution environnementale liée à ces activités. Au Vietnam, plus de 50 % de la production nationale aquacole provient de systèmes intensifs, avec des déchets solides, issus en majorité de la nourriture donnée aux poissons, estimés à un million de tonnes en 2020.

Riches en azote et phosphore, ces déchets sont extrêmement polluants. En outre, ils génèrent d’importants gaspillages et pertes économiques pour les élevages. Dans le cadre d’un projet financé par le Fonds de solidarité pour les projets innovants de l’ambassade de France au Vietnam, le Cirad participe* à développer des solutions pour réduire les déchets émis par l’aquaculture intensive, récupérer ces résidus liés à l’alimentation des poissons et les recycler en aliments pour animaux ou engrais organiques. L’objectif de ce projet appelé « 3R pour une aquaculture intelligente face au climat dans le delta inférieur du Mékong au Vietnam » est de réduire, recycler et réutiliser un maximum de ces déchets solides. Cette utilisation circulaire des aliments permettra d’accroître la rentabilité économique de l’activité, mais aussi de créer des emplois locaux et de réduire l’empreinte carbone du poisson produit.

« Réduire ne serait-ce que 10 % des déchets permettrait d’énormes progrès, estime Kazi Ahmed Kabir, chercheur au Cirad spécialisé sur l'aquaculture et la pêche. Des études sont encore à mener sur la réutilisation et le recyclage, notamment pour une utilisation en aquaculture sur d’autres espèces, mais aussi pour d’autres activités agricoles. »

La mise en réseau pour des transitions agroécologiques à grande échelle

L’importance des coopérations est notamment mise en valeur via un nouveau réseau de partenaires scientifiques asiatiques, africains et européens autour de l’aquaculture durable : IRN ASACHA, pour International Research Network on Agroecology for Sustainable Aquaculture in a context of global CHAnges.

Que ce soit pour travailler sur la perception d’agrosystèmes innovants ou encore leurs performances agronomiques et économiques, ces solutions déployées au Cambodge ou au Vietnam demandent l’intégration de nombreuses disciplines. De l’économie à la génétique, en passant par la sociologie et la nutrition, les membres du réseau ASACHA ambitionnent de développer des approches génériques d’intensification écologique des élevages aquacoles. Des solutions qui devront être adaptées aux contextes locaux, et dont les bonnes pratiques pourront être diffusées à large échelle.

* Dans le cadre du projet 3R, le Cirad travaille en collaboration avec Can Tho University, le centre de recherche pour l’aquaculture Research Institute for Aquaculture – No2, et la Foreign Trade University. Les partenaires français du projet sont l’INRAE et l’IRD.