Serge Morand : « La biodiversité est synonyme de résilience face à l’émergence de maladies »

Regard d'expert 21 mai 2021
Quel rôle joue la biodiversité dans l’émergence de maladies infectieuses ? Serge Morand, écologue de la santé au CNRS-Cirad, enquête sur « l’effet de dilution » permis par une forte diversité du vivant. Ce phénomène suppose qu’un écosystème riche assure la régulation des agents pathogènes et diminue leur transmission. À l’occasion de la journée internationale de la biodiversité, Serge Morand rappelle ainsi l’importance des services apportés par la biodiversité à la santé des écosystèmes, animale et humaine.
Serge Morand est écologue et spécialiste des maladies infectieuses au Cirad et au CNRS © S. Morand, Cirad
Serge Morand est écologue et spécialiste des maladies infectieuses au Cirad et au CNRS © S. Morand, Cirad

Serge Morand est écologue et spécialiste des maladies infectieuses au Cirad et au CNRS © S. Morand, Cirad

Quel est le lien entre biodiversité et émergence de maladies infectieuses ?

Serge Morand : Sur un territoire, une biodiversité riche assure de nombreux services : pollinisation, épuration de l’eau et de l’air, qualité des sols… mais aussi régulation des organismes vecteurs ou réservoirs de maladies. Dans un écosystème riche en espèces vivantes variées, chacune est présente en effectif réduit. Les prédateurs vont, par exemple, réguler la population de petits rongeurs ou d’animaux porteurs de tiques. Ces animaux ou insectes, où logent de nombreux agents pathogènes, ne vont pas pulluler. Les virus et les bactéries finissent alors « dilués » dans cet ensemble complexe.

C’est ce que vous appelez « l’effet de dilution » ?

S. M. : L’effet de dilution a été observé pour de nombreuses maladies, par exemple la maladie de Lyme aux États-Unis. La perte de grands prédateurs, comme le loup, a entraîné une augmentation de la population de certaines espèces de cervidés, comme le chevreuil. Or, de nombreux cervidés sont de très bons « hôtes » de la bactérie responsable de la maladie de Lyme, en plus de servir de repas aux tiques vectrices de la même bactérie. Sans régulation par les prédateurs, les hôtes intermédiaires se multiplient et les tiques avec. Cette prolifération profite à la circulation des pathogènes…

En revanche, sur un territoire, plus il y a d’espèces différentes, plus la transmission des maladies est entravée. D’une part, la population des espèces « hôtes », c’est-à-dire les organismes vivants au sein desquels l’agent pathogène peut se développer, est régulée par les prédateurs. D’autre part, ces espèces hôtes entrent en concurrence avec d’autres espèces qui ne le sont pas, que l’on appelle « non compétentes ». Pour un agent pathogène, c’est alors une transmission perdue : il ne pourra pas s’y développer et mourra. Toujours aux États-Unis, on a ainsi remarqué qu’une forte biodiversité d’oiseaux diluait la transmission du virus de la fièvre du Nil occidental. Les oiseaux « hôtes » côtoyaient des oiseaux « non compétents », ce qui assurait une certaine régulation malgré la diversité des agents pathogènes.

On pourrait penser qu’une biodiversité réduite signifie également des virus et bactéries en moindre nombre. Pourquoi n’est-ce pas le cas ?

S. M. : Une faible biodiversité implique en effet une baisse dans la diversité des agents pathogènes. Cependant, les pathogènes restants circulent alors bien mieux. Lors de changements importants et brutaux d’habitats, on observe ainsi que la simplification des milieux engendre une meilleure transmission des maladies. Par exemple, passer d’un système de cultures diversifiées à une monoculture intensive, ou remplacer une forêt complexe par un champ d’arbres à une ou deux espèces… En simplifiant de la sorte les écosystèmes, on les appauvrit et des dérégulations apparaissent.

Si on prend l’exemple extrême des élevages intensifs, on comprend bien à quel point le manque de biodiversité peut être dangereux d’un point de vue sanitaire. Ce sont des endroits clos où l’on concentre de denses populations d’animaux au matériel génétique similaire : le jackpot pour un pathogène.

Quelles solutions pourrait-on imaginer pour favoriser les services écosystémiques de la biodiversité face à l’émergence de maladies infectieuses ?

S. M. : Il y a selon moi deux axes importants : d’abord, penser en territoires. Les pathogènes et leurs organismes hôtes ou vecteurs répondent à des conditions écologiques et sociales qui sont localisées. Il n’existe aucune solution universelle. Il faut travailler en étroite collaboration avec les acteurs de la santé et de la biodiversité sur le terrain. Le développement d’élevages intensifs d’animaux génétiquement homogènes pose ainsi question, notamment en regard de leurs capacités à répondre aux risques sanitaires, dans un contexte de changements globaux. Il faudrait plutôt parier sur la diversité bioculturelle, celle des races locales, résilientes et résistantes aux pathogènes locaux.

Ensuite, les solutions à imaginer devront être basées sur la nature et les écosystèmes. Agroécologie, agroforesterie, systèmes agro-sylvopastoraux… Diversifier les modes de productions des produits agricoles posera certainement de nombreux défis aux filières, mais cela permettra de prévenir l’émergence d’épidémies aux conséquences économiques parfois dévastatrices.

On sait que la biodiversité apporte une résilience face aux aléas sanitaires, tout comme elle le fait face aux changements climatiques. Cependant, on peine encore à comprendre les mécanismes exacts. Il faut donc développer d’urgence de nouveaux projets de recherche qui lient biodiversité et santé. Santé, entendue comme la santé intégrée des écosystèmes, des animaux et des humaines, ce qu’on appelle l’approche « One Health ».
Enfin, c’est en comprenant les mécanismes d’émergence, les points chauds comme les points froids, que l’on pourra éviter la prochaine crise. Et la biodiversité y jouera un rôle essentiel.

 

Serge Morand nommé expert du Panel d’experts de haut niveau « Une seule santé »

Serge Morand est le seul expert français membre du Panel d’experts de haut niveau « Une seule santé ».
Proposé à l’initiative de la France avec le soutien de l’Allemagne, ce panel d’experts a été officiellement annoncé par les ministres français et allemand des Affaires étrangères et les dirigeants de l’OMS, de l’OIE, de la FAO et du PNUE lors du Forum de Paris sur la paix le 12 novembre 2020.
Le panel est composé de 26 experts indépendants sélectionnés par les 4 organisations internationales. Ils se réuniront au moins 3 fois par an et produiront des rapports et des recommandations sur les liens entre santés humaine, animale et environnementale. L’objectif est d’aider les responsables publics à prendre les décisions utiles pour prévenir et répondre aux futures crises sanitaires et d’éclairer les citoyens sur les enjeux entourant cette question.
L’action du panel d’experts pourra s’appuyer sur les travaux de l’initiative PREZODE, initiée par des organismes de recherche français (IRD CIRAD, INRAE) avec divers partenaires internationaux.