Un espoir pour les riziculteurs : des semences hybrides qui conservent leur qualité de génération en génération

Résultats & impact 8 février 2023
Un grand nombre de cultures reposent actuellement sur l’utilisation de variétés hybrides de première génération, obtenues par croisement entre deux variétés éloignées génétiquement. Ces hybrides dits « F1 » bénéficient d’une forte vigueur et sont très recherchés par les agriculteurs. Cette vigueur ne se maintient pas à la seconde génération : un obstacle qui oblige les paysans à renouveler chaque année leurs semences, les rendant dépendants des firmes semencières. Et s’il était possible de lever ce verrou pour assurer maintien des qualités de la plante hybride de génération en génération ?
Repiquage du riz en montagne, Vietnam © J.-C. Maillard, Cirad
Repiquage du riz en montagne, Vietnam © J.-C. Maillard, Cirad

Repiquage du riz en montagne, Vietnam © J.-C. Maillard, Cirad

Il ne s’agit pour l’instant que d’expérimentations en laboratoire, mais les résultats sont déjà là : une équipe du Cirad, en collaboration avec des chercheurs de UC Davis, du Max Planck Institut pour l’Amélioration des Plantes de Cologne, de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et du Council for Scientific and Industrial Research (CSIR) du Ghana, vient de démontrer la possibilité de reproduire à l’identique par grains une variété hybride de riz. Autrement dit, la variété pourra ainsi se cloner, à l’infini, et garder ses qualités de départ.

Ce mécanisme de clonage existe déjà naturellement chez un grand nombre de familles de plantes : c’est « l’apomixie », un mode de reproduction sans fécondation, qui aboutit à des graines génétiquement identiques à la plante mère. Chez le riz en revanche, ce phénomène n’existe pas à l’état sauvage. Les scientifiques ont réussi à créer une apomixie synthétique à l’aide de techniques d’éditions du génome.

Emmanuel Guiderdoni, spécialiste du génome du riz au Cirad, qui a encadré l’étude publiée dans Nature communications, détaille les résultats : « 95 % des grains obtenus sont des clones, c’est-à-dire qu’ils conservent les mêmes propriétés que l’hybride F1 de départ, y compris la qualité du grain. Les descendances gardent le même génome sur plusieurs générations. En pratique, cela veut dire qu’un agriculteur n’aurait plus à racheter de nouvelles semences chaque année : il lui suffirait de semer une partie de sa récolte. »

Une telle avancée profiterait particulièrement aux riziculteurs les plus pauvres, qui pourraient conserver les semences des plantes hybrides sans perdre leur potentiel de rendement élevé. Pour Matilda Ntowa Bissah, généticienne au CSIR Ghana et co-autrice de l’étude, « appliquée à grande échelle, cette technique permettra d'accroître l'accès aux bonnes semences pour les agriculteurs pauvres en ressources, d'augmenter la productivité et les revenus, le tout en participant à l’atteinte des objectifs de développement durable* 2 et 8 ».

Les travaux sont encore loin d’être finalisés, rappellent cependant les scientifiques : « pour le moment par exemple, les hybrides obtenus font preuve d’une fertilité réduite, c’est-à-dire qu’ils produisent un nombre de grains inférieurs à l’hybride de départ. Il va donc falloir corriger ce dernier défaut avant d’envisager des essais aux champs, où on pourra s’assurer de la stabilité des plantes en conditions réelles. Cela prendra plusieurs années. »

L’apomixie synthétique grâce aux techniques d’édition du génome

Les espèces sauvages ou cultivées de riz se reproduisent naturellement par fécondation sexuée, ce qui implique un brassage génétique et l’obtention d’une descendance différente des parents. Afin de conserver la vigueur d’une variété hybride F1, les scientifiques ont donc cherché à provoquer de manière synthétique la formation de l’embryon sans brassage génétique ni fécondation : l’apomixie, une forme de clonage.

Ils ont pour cela utilisé des techniques d’édition du génome, via le système CRISPR-Cas9. « Nous avons inactivé trois gènes et ajouté un gène modifié, qui provient du riz lui-même », précise Emmanuel Guiderdoni.

Objectifs : accessibilité aux semences et diversification

Les hybrides F1 sont connus pour maintenir une productivité plus élevée et plus stable face aux fluctuations environnementales. Or à l’heure actuelle, leur production chez le riz est particulièrement complexe et coûteuse, ce qui les rend inaccessibles aux petits riziculteurs.

L’apomixie synthétique permettrait deux choses : d’une part, elle ouvre la possibilité de diversifier les hybrides F1 beaucoup plus facilement, afin par exemple de créer des variétés plus adaptées à la demande locale et à des contextes climatiques variés. Ensuite, et à condition que les systèmes nationaux de recherche investissent cette technique, l’apoximie synthétique pourrait assurer aux agriculteurs et paysans une certaine indépendance vis-à-vis des firmes semencières, car ils pourront reproduire eux-mêmes ces variétés plus performantes.

Qu’est qu’un hybride F1 ?

Les hybrides sont des variétés créées par croisement entre deux variétés distinctes. Lorsque les deux variétés sont très éloignées génétiquement, la variété hybride de première génération, dite F1, résultant du croisement des deux parents, bénéficie généralement de la vigueur hybride. Elle se traduit par une vigueur, un rendement et des qualités gustatives supérieures à la somme des caractères des deux parents. Ces hybrides F1 sont donc très recherchés par les cultivateurs et le riz, première céréale consommée au monde, n’échappe pas à la règle.

* Les objectifs de développement durable, ou ODD, ont été établis par les Nations Unies en 2015. Ils désignent dix-sept objectifs à atteindre d’ici 2030. L’ODD 2 se focalise sur la lutte contre la faim, tandis que l’ODD 8 concerne l’accès à des emplois décents.

Référence

Aurore Vernet, Donaldo Meynard, Qichao Lian, Delphine Mieulet, Olivier Gibert, Matilda Bissah, Ronan Rivallan, Daphné Autran, Olivier Leblanc, Anne Cécile Meunier, Julien Frouin, James Taillebois, Kyle Shankle, Imtiyaz Khanday, Raphael Mercier, Venkatesan Sundaresan, Emmanuel Guiderdoni. 2022. High-frequency synthetic apomixis in hybrid rice. Nature Communications