Contaminants : des angles morts sur le recyclage des déchets organiques

Résultats & impact 23 mai 2022
Stratégie de fertilisation des sols et alternative aux engrais minéraux, le recyclage agricole des déchets organiques est une pratique qui se développe, notamment pour faire face à l’envolée du prix des engrais. Elle comporte pourtant des risques environnementaux et sanitaires parfois mal évalués. Une synthèse publiée dans le nouveau numéro de Advances in Agronomy pointe les angles morts des outils d’évaluation sur les contaminants organiques, les pathogènes ou encore l’effet cocktail.
Traitement de déchets verts à La Réunion © J. Vayssières, Cirad
Traitement de déchets verts à La Réunion © J. Vayssières, Cirad

Traitement de déchets verts à La Réunion © J. Vayssières, Cirad

Recycler nos déchets organiques d’origine urbaine, agricole ou agroindustrielle, en ressources pour l’agriculture : l’idée est séduisante dans une optique de développement durable et d’économie circulaire. « A condition de garder à l’esprit qu’un déchet peut contenir certaines substances potentiellement toxiques », rappelle cependant les auteurs de cette étude parue en mai. 

Ce sont des « contaminants », c’est-à-dire des éléments apportés par l’activité humaine dans le milieu naturel.  « On parle ensuite de polluant lorsque la présence du contaminant dégrade le fonctionnement de ce milieu naturel, en raison par exemple de sa toxicité », précise Emmanuel Doelsch, chercheur au Cirad et co-auteur de l’étude. 

Trois types de contaminants présents dans les déchets organiques

Les éléments traces (métaux et métalloïdes), qu’on appelle parfois de manière impropre « métaux lourds », sont les contaminants les mieux étudiés. Parmi ces éléments, le cuivre ou le zinc : bien qu’indispensables à la vie, ils deviennent toxiques au-delà d’une certaine concentration. 

Les contaminants organiques regroupent des substances extrêmement diversifiées dont les pesticides, les substances d’origine industrielles (dioxines, PCB, HAP…), les produits pharmaceutiques ou encore les produits de soins personnels. 

Enfin, les pathogènes rassemblent les virus et autres parasites présents dans les déchets organiques. Parmi les impacts, les auteurs soulignent la présence de bactéries antibiorésistantes en raison de la présence d’antibiotiques dans les déchets organiques. « Entre 30 et 90 % des antibiotiques utilisés pour la production animale sont retrouvés dans les effluents d’élevage », rapporte l’étude.

Effets cocktails, contaminants organiques et pathogènes : les angles morts des évaluations

Face à la présence de ces contaminants, la décision du recyclage agricole dépend d’une évaluation entre bénéfices et risques potentiels. Scientifiques, décideurs ou agriculteurs utilisent pour cela de deux types de méthodes d’évaluation des impacts environnementaux et sanitaires : l’analyse de cycle de vie et l’analyse des risques. Deux méthodes qui présentent pourtant de nombreuses lacunes.

Selon la synthèse, les contaminants organiques et les pathogènes sont ainsi très rarement intégrés dans ces évaluations. Elles prennent bien en compte les éléments traces mais en gomme certaines spécificités, comme leur forme chimique. « Certains déchets organiques subissent une étape de transformation, par exemple le compostage, explique Emmanuel Doelsch. Les métaux présents vont alors changer de forme pendant cette étape, et cela peut impacter leur comportement dans l’environnement et leur toxicité. »

L’autre angle mort inquiétant pour les scientifiques : l’effet cocktail. « Actuellement, les méthodes évaluent la nocivité des éléments traces de manière individuelle », indique Angel Avadí, chercheur au Cirad et co-auteur de l’étude. « Elles ne prennent pas en compte les effets de mélanges. Or certains métaux sont inoffensifs isolément, mais s’avèrent toxiques en présence d’autres contaminants, ou vice-versa. »

Réduire le fossé entre connaissances locales et méthodes d’évaluation globales

Au niveau local, les impacts du recyclage des déchets organiques peuvent être analysés à travers des sites expérimentaux dédiés. Le Cirad travaille par exemple sur des dispositifs d’expérimentation au champ de longue durée (parfois plus de quinze ans) aussi bien à la Réunion qu’en partenariat avec des organismes nationaux dans les pays tropicaux, comme au Sénégal. 

Les connaissances très fines qui en découlent ne permettent pas toujours d’envisager des évaluations à plus grandes échelles ou pour des contextes climatiques différents, comme le note Angel Avadí : « Pour avoir du poids dans les prises de décisions, les méthodes d’évaluation doivent être capables de donner une vision d’ensemble. Cela implique de simplifier et d’agréger de nombreuses données. »

Pour les auteurs, « tout est une question de choix dans les paramètres à prioriser dans ces évaluations ». Ils plaident ainsi pour une évolution des paramètres : par exemple, certains effets cocktails pourraient être intégrés. 

Comme le soulignent Emmanuel Doelsch et Angel Avadí : « Le recyclage agricole des déchets organiques est une bonne option, mais il faut qu’on soit attentif aux différents risques. Et pour cela, on a besoin d’être capable de les mesurer. » 

Référence

Angel Avadí, Pierre Benoit, Matthieu N. Bravin, Benoit Cournoyer, Frédéric Feder, Wessam Galia, Patricia Garnier, Claire-Sophie Haudin, Samuel Legros, Laure Mamy, Sylvie Nazaret, Dominique Patureau, Valérie Pot, Laure Vieublé Gonod, Tom Wassenaar, and Emmanuel Doelsch. 2022. Trace contaminants in the environmental assessment of organic waste recycling in agriculture: Gaps between methods and knowledge. Advances in Agronomy Volume 174, 2022, Pages 53-188