Un herbier ancien livre les premiers secrets de l’histoire évolutive d’une grave maladie bactérienne des agrumes

Résultats & impact 30 juillet 2021
Pour la première fois, des chercheurs viennent de prouver la possibilité d’exploiter des herbiers anciens pour étudier les bactéries pathogènes des plantes. Dans un article publié le 29 juillet dans PLoS Pathogens, des scientifiques du Cirad, du Muséum national d'Histoire naturelle et de l’Herbier de l’île Maurice ont reconstitué l’histoire évolutive d’une bactérie des agrumes dans l’océan Indien, en comparant un de ses génomes anciens extrait d’un herbier à une collection de ses génomes modernes. Ces travaux ouvrent la voie à l’exploration des herbiers anciens pour comprendre l’histoire évolutive des bactéries pathogènes des plantes et mieux comprendre leurs émergences au cours des 300 dernières années.
Des dizaines d'herbiers anciens ont été explorés par les chercheurs dans le monde. Ici au Smithsonian Institution aux Etats-Unis © L. Gagnevin, Cirad
Des dizaines d'herbiers anciens ont été explorés par les chercheurs dans le monde. Ici au Smithsonian Institution aux Etats-Unis © L. Gagnevin, Cirad

Des dizaines d'herbiers anciens ont été explorés dans le monde par les chercheurs pour démarrer la reconstitution évolutive de l'histoire d'une bactérie pathogène des agrumes. Ici au Smithsonian Institution aux Etats-Unis © L. Gagnevin, Cirad

C’est une première sur une bactérie pathogène de plante. Une équipe scientifique menée par le Cirad vient de démontrer qu’il est possible d’extraire et séquencer de l’ADN ancien de bactéries infectant les plantes depuis des herbiers. De feuilles d’agrumes infectées datant de 1937 et conservées à l’Herbier de l’île Maurice, ils ont séquencé un génome ancien de la bactérie Xanthomonas citri, responsable du chancre des agrumes. Puis ils ont comparé ce génome historique à 150 génomes contemporains de la même bactérie et reconstruit l’histoire de son introduction dans l’océan Indien. « L’analyse détaillée de l’arbre phylogénétique de cette espèce bactérienne nous a permis de faire l’hypothèse d’une première introduction de la maladie à l’île Maurice », explique Lionel Gagnevin, bactériologiste au Cirad, qui a co-piloté ce projet avec Nathalie Becker, biologiste moléculaire au Museum national d’Histoire naturelle (MNHN) et Adrien Rieux, génomicien des populations au Cirad, tous deux basés à La Réunion.

Une bactérie originaire d’Asie, d’où viennent aussi les agrumes

La bactérie a probablement émergé en Asie, zone d’origine des agrumes qui sont leurs hôtes exclusifs avant de se répandre hors du continent vers l’Amérique, l’Afrique et l’Océanie durant la première moitié du XXe siècle. Dans la région de l’océan Indien, cette maladie avait été décrite pour la première fois en 1917 aux îles Maurice et Rodrigues puis à partir de la fin des années 1960 à La Réunion, dans l’archipel des Comores et aux Seychelles. 

« Une planche conservée au sein de l’Herbier de Maurice comportant un spécimen d’agrume infecté collecté par Reginald E. Vaughan à Phoenix en 1937 a été sélectionné pour cette étude, car c’est le plus ancien échantillon disponible du sud-ouest de l’océan Indien », précise Claudia Baider, responsable de l’Herbier de Maurice.

A partir de cet échantillon, les chercheurs ont purifié et séquencé l’ADN de la bactérie dans les laboratoires spécialisés du Pôle de protection des plantes au Cirad à La Réunion. Ils ont reconstitué son génome et daté l’ancêtre commun à toutes les souches de l’océan Indien autour des années 1850. « Ceci suggère que le chancre des agrumes aurait pu être introduit par des plants importés d’Asie, lors du recrutement de travailleurs engagés depuis l’Inde, dans les plantations des îles de l’océan Indien », révèle Paola Campos, doctorante au MNHN et premier autrice de l'article. 

Planche contenant un échantillon de cédrat malade, datant de 1937 conservé à l’Herbier de Maurice © A. Rieux, Cirad

Planche contenant un échantillon de cédrat malade, datant de 1937 conservé à l’Herbier de Maurice © A. Rieux, Cirad

Des milliers d’échantillons datant des XVIIIe et XIXe siècles à explorer

Les milliers d’échantillons d’herbiers conservés dans des muséums d’histoire naturelle du monde entier restent encore à explorer. Un grand nombre d’entre eux ont été sélectionnés par l’équipe, provenant de diverses origines géographiques, périodes (XVIIIe et XIXe siècles) et espèces d’agrumes. Leur analyse devrait permettre de reconstruire l’histoire mondiale de la maladie. « Les possibilités d’exploration sont immenses et les découvertes à venir vont peut-être venir confirmer ou infirmer certaines hypothèses sur l’émergence des agents phytopathogènes en lien avec l’histoire de l’intensification agricole », souligne Lionel Gagnevin, à l’origine des collectes. D’autant que les progrès techniques en matière d’analyse d’ADN ne cessent d’ouvrir de nouvelles possibilités.

Référence 

Campos PE, Groot Crego C, Boyer K, Gaudeul M, Baider C, Richard D, Pruvost O, Roumagnac P, Szurek B, Becker N, Gagnevin L, & Rieux A. 2021. First historical genome of a crop bacterial pathogen from herbarium specimen: Insights into citrus canker emergence. PLoS Pathogens, 17(7), e1009714. https://doi.org/10.1371/journal.ppat.1009714
 

L’étude des herbiers pour comprendre les phénomènes d’évolution et d’émergence des maladies des plantes au cours des 300 dernières années.

L’étude des herbiers entre le XVIIIe et XXe siècle offre l’opportunité d’explorer les phénomènes d’émergences et d’évolution des agents pathogènes, en lien avec l’histoire récente de l’agriculture : échanges intercontinentaux de matériel végétal, débuts de la sélection variétale, techniques de greffage, intensification de l’agriculture lors de la révolution verte (engrais chimiques, produits phytosanitaires, industrie semencière, mécanisation, monocultures), changements climatiques et globalisation. Tous ces phénomènes ont pu favoriser les épidémies, exercer sur les microorganismes des pressions de sélection, ou encore donner l’opportunité à de nouvelles combinaisons hôte-pathogène de se réaliser. On parle couramment de co-évolution entre les plantes et leurs parasites, mais l’évolution des plantes cultivées est beaucoup plus rapide de celles des plantes sauvages du fait de l’intervention humaine, et l’évolution des micro-organismes qui leur sont associés l’est encore plus.