Une cartographie sans précédent révèle une perte de 220 millions d’hectares de forêts tropicales humides depuis 1990

Résultats & impact 5 mars 2021
Une équipe associant des scientifiques du Centre commun de recherche (JRC), du Cirad, du CIFOR et de l’INPE, publie ce vendredi 5 mars dans la revue Science Advances un travail inédit : trente ans de données satellitaires sur les perturbations du couvert forestier tropical mondial. Les cartes fournies ont permis d’évaluer avec une précision sans précédent l’évolution de la déforestation et de la dégradation des forêts depuis 1990.
Au niveau mondial, ce sont 17 % des forêts tropicales humides qui ont disparu au profit de l’agriculture et d’autres utilisations des terres depuis 1990. © V. Gond, Cirad
Au niveau mondial, ce sont 17 % des forêts tropicales humides qui ont disparu au profit de l’agriculture et d’autres utilisations des terres depuis 1990. © V. Gond, Cirad

Au niveau mondial, ce sont 17 % des forêts tropicales humides qui ont disparu au profit de l’agriculture et d’autres utilisations des terres depuis 1990. © V. Gond, Cirad

Selon les résultats de ces travaux, les trois dernières décennies ont vu la perte de 220 millions d’hectares de forêt tropicale humide. « Les données satellites nous montrent que, entre 1990 et 2020, ce sont environ 7 millions d’hectares de forêt tropicale humide qui ont disparu en moyenne chaque année. Cela équivaut environ à la taille de l’Irlande, tous les ans », précise Ghislain Vieilledent, écologue spécialiste des forêts tropicales au Cirad et co-auteur de l’article.

Déforestation sous-estimée et dégradation qui s’accélère

L’étude révèle que la déforestation a été largement sous-estimée par les précédents travaux, en particulier sur le continent africain. En Afrique, la déforestation associée à l'agriculture sur brûlis est de type mosaïque, affectant des surfaces de forêts petites mais multiples, ce qui la rend plus difficile à détecter par satellite. Au niveau mondial, ce sont 17 % des forêts tropicales humides qui ont disparu au profit de l’agriculture et d’autres utilisations des terres depuis 1990. En 2020, il reste 1070 millions d’hectares de forêt tropicale humide dans le monde contre 1290 millions d’hectares en 1990.

Les forêts tropicales qui subsistent sont par ailleurs très dégradées. La dégradation des forêts tropicales, qui est caractérisée par une perte ponctuelle du couvert forestier, est associée majoritairement à l’exploitation de bois, aux feux de faible ampleur et aux perturbations naturelles comme les tempêtes. Sur les 1070 millions d’hectares de forêt tropicale humide en 2020, 10 % constituent de la forêt dégradée et ont une forte chance d’être déforestés dans un futur proche.

En effet, environ la moitié des forêts dégradées sont par la suite déforestées. Et la situation semble s’accélérer, comme le note Christelle Vancutsem, spécialiste en télédétection au JRC et première auteure de l’étude : « Sur les cinq dernières années, de 2015 à 2019, on observe une forte augmentation de la dégradation des forêts : 2,6 millions d’hectares en plus par rapport à la période 2010-2014 ». Cette tendance s’explique notamment par des conditions climatiques particulières (sécheresses et feux associés à l’effet El Nino).

La déforestation et la dégradation des forêts constituent une menace majeure pour le climat et la biodiversité. « La conversion des forêts pour un usage agricole est la deuxième source d’émissions de CO2 dans l’atmosphère après la combustion d’énergies fossiles », rappelle Ghislain Vieilledent.

Une précision sans précédent, indispensable pour les politiques de conservation

Cette étude documente pour la première fois à l’échelle pantropicale et sur une période de 30 ans, l’étendue et les changements de couvert des forêts tropicales humides. Des cartes à haute résolution spatiale (30m) fournissent des informations annuelles sur la dégradation, la déforestation et la régénération des forêts tropicales humides sur la période 1990-2019. Surtout, la dégradation est, pour la première fois à si large échelle, différenciée de la déforestation. Le degré de précision des cartes obtenues permet de différencier les causes de déforestation ou de dégradation des forêts : agriculture, exploitation forestière ou feux de forêt. La carte de l'évolution du couvert forestier sur la période 1990-2019 et sur un pas de temps annuel est mise à disposition de la communauté scientifique et du grand public : https://forobs.jrc.ec.europa.eu/TMF/.

Pour les auteurs de l’article, ce travail sur les changements de couvert des forêts tropicales humides à l’échelle mondiale est primordial pour soutenir les politiques de lutte contre la déforestation et de conservation de la biodiversité. Les résultats et produits de cette étude pourront ainsi être utilisés à l'échelle globale, nationale ou régionale pour une meilleure gestion et conservation des forêts tropicales humides. Les résultats de l’étude permettront également à terme de quantifier de manière plus efficace les contributions des forêts tropicales aux flux de carbone à l’échelle planétaire.

Cartes des forêts tropicales humides restantes en janvier 2020 (panneaux par continents) © Science Advances , Vancutsem et al. 2021

Cartes des forêts tropicales humides restantes en janvier 2020 (panneaux par continents) © Science Advances , Vancutsem et al. 2021

Référence

Vancutsem C., F. Achard, J.-F. Pekel, G. Vieilledent, S. Carboni, D. Simonetti, J. Gallego, L. Aragao and R. Nasi. 2021. Long-term (1990–2019) monitoring of forest cover changes in the humid tropicsScience Advances (Sci. Adv.) 2021; 7: eabe1603