Changement climatique | La sécheresse réduit l’absorption du carbone et le rendement des cultures

Résultats & impact 21 septembre 2020
Une série d’études menée à l’échelle du continent européen, publiée en septembre 2020 dans Philosophical Transactions B, montre comment les milieux naturels et cultivés réagissent aux sécheresses. Les résultats révèlent qu’en 2018 les puits de carbone en Europe ont baissé de près de 20 %, et le rendement des cultures de 40 % au Nord et à l’Est de l’Europe. Le Cirad va développer ces approches dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique et Amérique du Sud, pour préciser les impacts des conditions climatiques extrêmes sur les productions et la sécurité alimentaire. L’objectif est de pouvoir mieux anticiper les effets du changement climatique en agriculture pour s’y adapter.
Au Nord et à l'Est de l'Europe, la sécheresse de 2018 a entraîné une baisse moyenne du rendement des cultures de 40% par rapport à une année normale © A. Rival, Cirad
Au Nord et à l'Est de l'Europe, la sécheresse de 2018 a entraîné une baisse moyenne du rendement des cultures de 40% par rapport à une année normale © A. Rival, Cirad

Au Nord et à l'Est de l'Europe, la sécheresse de 2018 a entraîné une baisse moyenne du rendement des cultures de 40% par rapport à une année normale © A. Rival, Cirad

Jamais une telle sécheresse n’avait frappé l’Europe sur une si grande superficie qu’à l’été 2018. De nombreux records de température ont été enregistrés, des feux se sont déclarés dans les pays nordiques et plusieurs pays ont déploré de mauvaises récoltes. L’Europe centrale a enregistré des précipitations jusqu’à 80 % inférieures à la normale au printemps, à l’été et à l’automne, et des températures caniculaires qu’elle n’avait pas connues depuis les années 50. En raison du changement climatique, les épisodes de sécheresses pourraient devenir plus fréquents en Europe, mais aussi en Amérique du Sud, Australie, en Asie centrale et occidentale, et en Afrique. Identifier précisément leurs causes pour pouvoir les anticiper et comprendre les implications de telles anomalies climatiques sur la production et les marchés agricoles sont des enjeux centraux pour assurer la sécurité alimentaire des prochaines décennies.

Diminution des puits de carbone forestiers, pertes de récoltes, brunissement des prairies

L’article publié le 7 septembre dernier retrace les différents impacts de la sécheresse de 2018 sur les forêts et les cultures européennes. Les résultats montrent ainsi que, cette année-là en Europe, les forêts se sont protégées de la chaleur en réduisant leur évaporation et leur croissance, ce qui a entraîné une baisse de l’absorption de dioxyde de carbone : pour ces écosystèmes, les puits de carbone ont diminué de 18 % par rapport à une année normale.

Avec la sécheresse, certains écosystèmes sont donc passés de puits à sources de carbone. En revanche, les tourbières réhumidifiées semblent avoir mieux survécu, notamment grâce à la croissance de nouvelles plantes. Ceci est une bonne nouvelle, car la réhumidification des tourbières est l’une des méthodes les plus couramment utilisées pour atténuer les conséquences du changement climatique.

D’après les résultats présentés, les cultures ont d’abord profité d’un temps chaud et ensoleillé au printemps 2018, mais leurs racines ont ensuite manqué d’eau pendant la canicule estivale. Avec la sécheresse, les prairies ont bruni entraînant des pénuries de foin pour le bétail, et de nombreuses cultures ont enregistré leur rendement le plus bas depuis des décennies, entraînant des pertes financières dans de nombreux secteurs d’activité. Toutefois, les rendements, plus élevés que la normale, enregistrés en Europe du Sud - dus à des conditions de précipitations printanières favorables - ont en partie compensé la forte baisse de la production agricole en Europe. « Nos résultats montrent l’importance d’analyser les impacts du changement climatique à large échelle pour comprendre son impact sur la sécurité alimentaire », explique Damien Beillouin, chercheur en agronomie et analyse de données au Cirad et un des auteurs principaux de l’étude.

L’étude montre également que la réaction de la végétation à un été très sec dépend beaucoup des conditions climatiques du printemps, voire de l’hiver précédent. « Si la communauté scientifique pouvait prévoir ces sécheresses et leurs conséquences plusieurs mois avant leur apparition, cela favoriserait l’adaptation au changement climatique » , remarque Wouter Peters de l’université de Wageningen aux Pays-Bas et également un des auteurs du numéro thématique.

D’autres travaux sur les changements climatiques sont en cours au Cirad, notamment relatifs aux impacts sur les productions horticoles en Afrique de l’Ouest.

L’étude est le fruit des efforts de plus de 200 scientifiques au sein de l’infrastructure de recherche ICOS, qui rassemble tous les plus grands instituts de recherche et universités d’Europe, et dont plusieurs unités du Cirad sont partenaires .

Pour en savoir plus : https://www.icos-cp.eu/event/975

De puits de carbone à source : le cas des forêts tropicales

Le réchauffement climatique et les épisodes de sécheresse de plus en plus récurrents transforment certains écosystèmes, qui stockaient jusqu’alors du carbone, en sources émettrice de gaz à effet de serre. Si les résultats de l’étude de Philosophical Transactions B concerne l’Europe, ce phénomène n’y est pas cantonné : les forêts tropicales en sont également victimes.

Selon une étude publiée dans Science en mai dernier, et à laquelle plusieurs scientifiques du Cirad ont participé, environ trois quarts des forêts tropicales seraient en passe de devenir émettrices de carbone à cause du réchauffement climatique.

Constat d’autant plus inquiétant que ce phénomène risque, selon certains scientifiques, de se coupler à une savanisation de ces forêts, liée à la déforestation. En Amazonie par exemple, « environ 20 % de la forêt amazonienne a été détruite et convertie en terre agricole depuis les années 70, indique Plinio Sist, écologue au Cirad et directeur de l’unité Forêts et Sociétés. Selon plusieurs estimations, le point de rupture pouvant enchaîner un processus de savanisation se situerait entre 25 et 30 %. Les conséquences seraient désastreuses pour l’ensemble du continent. »

Références

Damien Beillouin, Bernhard Schauberger, Ana Bastos, Phillipe Ciais et David Makowski. 2020. Impact of extreme weather conditions on European crop production in 2018. Philosophical Transactions B

Autres articles du numéro spécial de la revue Philosophical Transactions of the royal society B sur l’impact de la sécheresse de 2018