Criquets pèlerins : des migrateurs hors du commun

Résultats & impact 6 octobre 2020
Les criquets pèlerins sont connus pour leurs terribles ravages dans le nord de l'Afrique et le sud-ouest de l'Asie. Ce que l’on sait moins, c’est qu’ils sont également présents dans les terres arides du sud-ouest de l’Afrique, tels que le Namib, considéré comme le plus vieux désert du monde. Là-bas, les invasions sont rares et localisées. Une équipe de chercheurs du Cirad, d’INRAE et du CNRS a récemment retracé l’histoire de la séparation de ces populations, et a découvert qu’elle résultait d’une colonisation récente du sud de la répartition actuelle, suite à une longue migration d’individus de la population du nord.
Le criquet pèlerin aurait colonisé l’Afrique australe lors d’un évènement récent de migration longue distance. Il y a environ 2600 ans, un faible nombre de criquets pèlerins aurait franchi les milliers de kms qui séparent les déserts du nord et du sud de l’Afrique, et s’y serait établi… © M. Lecoq, Cirad
Le criquet pèlerin aurait colonisé l’Afrique australe lors d’un évènement récent de migration longue distance. Il y a environ 2600 ans, un faible nombre de criquets pèlerins aurait franchi les milliers de kms qui séparent les déserts du nord et du sud de l’Afrique, et s’y serait établi… © M. Lecoq, Cirad

Le criquet pèlerin aurait colonisé l’Afrique australe lors d’un évènement récent de migration longue distance. Il y a environ 2600 ans, un faible nombre de criquets pèlerins aurait franchi les milliers de kms qui séparent les déserts du nord et du sud de l’Afrique, et s’y serait établi… © M. Lecoq, Cirad

Tandis que des essaims de criquets pèlerins dévastent depuis le début de l’année les cultures en Afrique de l’Est et au Moyen Orient, l’Afrique australe, qui abrite également cette espèce de criquet, ne connaît pas le même fléau. Alors qu’il s’agit bien de la même espèce, il semblerait que les criquets d’Afrique australe pullulent moins que leurs cousins du nord. Une équipe de chercheurs du Cirad, d’INRAE et du CNRS s’est récemment intéressée à l’histoire de la divergence entre les populations disjointes du nord et du sud de l’Afrique, et ont fait une découverte inattendue. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, le criquet pèlerin n’a pas colonisé l’Afrique avec l’expansion de son habitat désertique lors d’un des nombreux épisodes glaciaires qui a marqué l’ère géologique du Quaternaire. Il s’agirait plutôt d’un évènement récent de migration longue distance : il y a environ 2600 ans, un faible nombre de criquets pèlerins aurait franchi les milliers de kms qui séparent les déserts du nord et du sud de l’Afrique, et s’y serait établi…

Une migration récente

« Il y a plus de 15 000 ans, lors du dernier maximum glaciaire, les forêts africaines diminuent au profit des milieux arides, tels que les déserts et les savanes. Le rapprochement géographique des milieux désertiques et semi-désertiques du nord et du sud a permis une colonisation progressive de l’Afrique par les espèces qui y vivaient , raconte Marie-Pierre Chapuis, généticienne des populations, et spécialiste des insectes ravageurs de cultures. Cet épisode a été suivi d’une déglaciation, pendant laquelle les forêts se sont étendues, et les populations adaptées aux milieux arides du nord et du sud de l’Afrique ont alors été isolées les unes des autres. C’est ce qui est arrivé aux espèces semi-désertiques, le chacal à chabraque et le rhinocéros blanc, par exemple. Jusqu’à récemment, on pensait que cela devait être également l’histoire de colonisation de l’Afrique des criquets pèlerins ».

Grâce à des travaux de génétique des populations et des méthodes statistiques innovantes, qui relèvent de l’intelligence artificielle, l’équipe de Marie-Pierre Chapuis a découvert que ces insectes avaient divergé bien plus récemment. « Il y a 2600 ans environ, un nombre faible de migrants a parcouru des milliers de kms jusqu’aux déserts de l’ouest de l’Afrique australe et y a fondé la population actuelle , explique la chercheuse. Les vents dominants de l’époque le long de la côte orientale de l’Afrique étaient favorables. On peut aussi penser qu’il s’agissait, comme aujourd’hui, d’une période d’invasion en Afrique de l’Est, et qu’un ou plusieurs essaims de criquets ailés, à la capacité migratoire exceptionnelle, ont pu atteindre le sud de l’Afrique. »

Un migrateur exceptionnel

S’il fallait encore le montrer, les recherches de Marie-Pierre Chapuis et de ses collègues confirment une fois de plus que le criquet pèlerin est un migrateur exceptionnel. L’invasion actuelle a déjà généré des essaims d’ailés migrants à travers de longues distances : à l’origine concentrée sur la péninsule Arabique, elle a affecté cette année une vingtaine de pays, du Soudan et Kenya à l’ouest jusqu’à l’Inde et le Népal à l’est. Si les insectes ont surtout impacté ces régions, l’ouest du continent africain, jusqu’alors épargné, pourrait également être frappé par des essaims, portés par des vents favorables dans les mois qui viennent.

Référence

Chapuis, M.‐P., Raynal, L., Plantamp, C., Meynard, C.N., Blondin, L., Marin, J.‐M. and Estoup, A. 2020. A young age of subspecific divergence in the desert locust Schistocerca gregaria, inferred by ABC Random Forest . Molecular Ecology 29: 4542- 4558 . (previous version recommended by Peer Community in Evolutionary Biology )