La pauvreté des sols et la faible fertilisation en Afrique masquent les effets du changement climatique sur les cultures

Résultats & impact 14 octobre 2020
Quel sera l’impact des changements climatiques sur les productions de céréales, et notamment sur le maïs, l’une des cultures tropicales les plus sensibles aux stress thermiques et hydriques ? Une étude, coordonnée par le Cirad et publiée dans Global Change Biology, a évalué l’impact de la hausse des températures sur les rendements de maïs en Afrique Sub-saharienne. Elle révèle qu’une augmentation de 4°C d’ici 2081-2100 pourrait entraîner une chute de rendement de 14 à 26 %.
Pour augmenter les rendements, sans accentuer les effets du changement climatique sur les cultures en Afrique, raisonner la fertilisation, en particulier organique, dans les systèmes agricoles - ici agroforestier - va s'avérer crucial pour l'avenir. © E. Torquebiau, Cirad
Pour augmenter les rendements, sans accentuer les effets du changement climatique sur les cultures en Afrique, raisonner la fertilisation, en particulier organique, dans les systèmes agricoles - ici agroforestier - va s'avérer crucial pour l'avenir. © E. Torquebiau, Cirad

Pour augmenter les rendements, sans accentuer les effets du changement climatique sur les cultures en Afrique, raisonner la fertilisation, en particulier organique, dans les systèmes agricoles - ici agroforestier - va s'avérer crucial pour l'avenir. © E. Torquebiau, Cirad

La production pluviale, c’est à dire sans irrigation, de céréales, est cruciale pour la sécurité alimentaire des populations d’Afrique subsaharienne. Le maïs y est la céréale la plus cultivée. La sensibilité de cette culture aux changements climatiques, couplée à la hausse prévue des températures, entre 1 et 4°C dans les décennies 2081–2100 par rapport à 1986–2005, suscite donc des inquiétudes majeures.

Selon les résultats de l’étude, le scénario à 4°C risque d’engendrer une baisse importante des rendements, surtout pour les cultures qui bénéficieront d’une fertilisation azotée, alors même que celle-ci (qui peut avoir un faible impact environnemental si elle est conduite de manière adéquate) est aujourd’hui considérée comme nécessaire pour la sécurité alimentaire.

L’impact des changements climatiques augmente avec la fertilisation des sols, pourtant nécessaire

En Afrique Sub-saharienne, les exploitations cultivant du maïs obtiennent actuellement de très faibles rendements, par rapport à ce que l’espèce et le climat permettent quand les ressources en eau et en nutriments dans le sol sont suffisantes.

« Contrairement à une idée reçue très répandue, ce n’est en général pas une insuffisance des pluies qui est responsable de ces faibles rendements , explique Gatien Falconnier, premier auteur de l’étude et agronome au Cirad. C’est plutôt la faible utilisation de fertilisants organiques et minéraux sur des sols souvent très pauvres en nutriments, notamment en azote. »

L’article montre que l'impact des changements climatiques sur la culture du maïs en Afrique sub-saharienne s'accroît avec la quantité d'azote apportée par les fertilisants. Avec une fertilisation azotée nulle, qui correspond à la majorité des pratiques agricoles actuelles, une hausse des températures de 4°C conduirait à une diminution des rendements de maïs d’environ 14 %. Avec une fertilisation azotée abondante (160 kg/ha) de l’ordre de celle appliquée dans les pays du Nord sur maïs, cette hausse des températures se traduirait par une baisse des rendements presque deux fois plus importante : 26 %.

« Il existe un large consensus scientifique sur la nécessité d’augmenter significativement le rendement des céréales en Afrique subsaharienne, souligne Gatien Falconnier. Pour faire face aux enjeux de sécurité alimentaire de l’Afrique et du monde à l’horizon de la prochaine génération, il faut nécessairement apporter une fertilisation azotée aux sols, et il faut qu’elle soit durable et équilibrée entre les apports organiques et minéraux. »

Les agriculteurs d’Afrique subsaharienne qui s'engageront pour cette nécessaire gestion intégrée de la fertilité de leur sol devraient donc ressentir de manière très accrue l'effet des changements climatiques.

« Le défi à relever n’est pas de réduire le risque climatique dans les systèmes céréaliers bas-intrant qui prévalent actuellement en Afrique sub-Saharienne, qui sont d’ailleurs plutôt robustes vis-à-vis de ces risques , explique le chercheur. Il s’agit plutôt de réduire les risques associés à la transition vers des systèmes agroécologiques certes, mais plus intensifs. On peut, par exemple, optimiser le choix variétal, la fumure minérale et organique, et le choix des pratiques agronomiques au regard des contraintes locales des agriculteurs. Le développement d’instruments politiques et financier pour réduire ces risques et soutenir des stratégies d’adaptation pertinentes sera donc capital. »

Un manque de données fiables sur l’impact des pratiques agricoles familiales sur le sol et la plante

L'article pointe également du doigt l'incertitude très élevée associée aux prédictions des modèles de simulation de la croissance du maïs habituellement utilisés.
« Il existe une idée reçue bien trop répandue : celle que les modèles de simulation des écosystèmes cultivés mis au point en plusieurs décennies d’efforts, majoritairement par la recherche agronomique des pays industrialisés, seraient aussi efficaces au Sud qu’au Nord » , se désolent Gatien Falconnier et François Affholder du Cirad. Beaucoup les utilisent aujourd’hui pour prédire les comportements des cultures du Sud sous l’effet du changement climatique ou de changements dans les pratiques culturales. Or, les données expérimentales issues des cultures industrialisées des pays Nord ne reflètent pas forcément la réalité de terrain de nombreux pays du Sud…

Les auteurs soulignent donc l’urgence de financer des recherches qui mettraient la priorité sur l’expérimentation au champ, en particulier dans des parcelles d’agriculteurs familiaux pour acquérir des données qui prennent en compte la diversité des contextes de cultures céréalières en Afrique sub-Saharienne.

La publication papier de cette étude coïncide avec l’atelier mondial AgMIP8 qui a lieu du 13 au 15 octobre 2021, un rendez-vous scientifique de référence pour les chercheurs en modélisation des cultures.

Référence

Falconnier, Gatien, et al. 2020. Modelling climate change impacts on maize yields under low nitrogen input conditions in sub‐Saharan Africa. Global Change Biology.

25 modèles de simulation de cultures mobilisés, ainsi qu’un large partenariat scientifique

Cette étude, coordonnée par le Cirad et publiée dans Global Change Biology , est le fruit d’un travail de simulation à partir de 25 modèles simulant la croissance des cultures, impliquant 56 chercheurs appartenant à 31 institutions de recherche de par le monde. Les modèles ont été calibrés sur des données expérimentales sur la croissance du maïs dans cinq sites (Mali, Ghana, Bénin, Ethiopie, Rwanda) représentatifs de la diversité des conditions environnementales de culture du maïs en Afrique sub-saharienne. Ces modèles ont ensuite été utilisés pour simuler l’impact de la hausse des températures sur les rendements du maïs.

L’étude a été conduite dans le cadre du projet sur l’inter-comparaison et l’amélioration des modèles agricole (AgMIP) qui fédère les équipes de recherche internationales de modélisation des cultures. Les chercheurs de l’unité Aïda du Cirad coordonnent une activité sur les systèmes avec de bas niveaux d’intrants dans les pays tropicaux au sein d’ AgMIP.