Mettre la coopération agricole et rurale au cœur de la relation entre l’Union européenne et l’Union africaine

Institutionnel 23 avril 2019
Un groupe de 11 experts internationaux constitué en mai 2018 par la Commission européenne, la « Task Force Rural Africa », a rendu en mars 2019 son rapport final préconisant un agenda Afrique-Europe pour la transformation rurale. Le groupe appelle l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) à mettre la coopération agricole et rurale au cœur de leur relation. Ce document de référence est désormais au centre du dialogue qui s’amorce entre l’UE et l’UA pour la mise en œuvre de la nouvelle Alliance Afrique-Europe pour l’investissement durable et l’emploi. Les experts, dont Bruno Losch du Cirad, proposent un plan en 6 actions couvrant les besoins de quatre domaines stratégiques.
Task Force Rural Africa en mai 2018 au moment de sa constitution, avec les commissaires Josefa Leonel Correia Sacko, Neven Mimica and Phil Hogan. © Commission européenne

L’Afrique est face à de multiples défis dont celui, majeur, d’offrir des emplois décents aux 800 millions de jeunes actifs qui feront doubler la taille du marché du travail d’ici 30 ans, dans un contexte où la population restera majoritairement rurale. Pour y répondre, le rapport final de la Task Force Rural Africa, un groupe de onze experts dont Bruno Losch, chercheur en économie politique au Cirad, identifie quatre domaines d’actions.

Quatre domaines stratégiques où agir

1. Adopter une approche territoriale du développement pour créer des revenus et de l’emploi

Le rapport préconise d’adopter une approche territoriale du développement. « Les politiques de développement traditionnelles ont adopté des approches trop sectorielles », explique Bruno Losch, avec des approches en « silos » : agriculture, villes, éducation, industries, santé, etc. Or les gens ne vivent pas dans des secteurs, ils vivent dans des lieux, des territoires. C’est pourquoi l’approche territoriale est plus adaptée : elle permet de comprendre les problèmes auxquels les populations, les agriculteurs et les entreprises sont confrontés dans leurs lieux de vie et d'activité afin de mieux y répondre. » La Task Force souligne l’importance de soutenir les infrastructures et services de base dans les villes secondaires et les zones rurales, de renforcer les capacités des populations locales, notamment des femmes et des jeunes, et d’accroître l’autonomie et les moyens d’action des institutions locales et régionales.

2. Gérer durablement les terres et les ressources pour répondre aux défis du changement climatique

La pression sur les ressources naturelles liée à la croissance des besoins et à l’évolution du climat pose un défi majeur pour les sociétés africaines. Le rapport insiste sur le besoin d’intégrer des mesures d’appui à la gestion des ressources naturelles dans les différentes politiques sectorielles et de s’appuyer sur les dynamiques territoriales associant les acteurs locaux et les usagers des ressources. La promotion de systèmes alimentaires durables et résilients au changement climatique constitue une réponse adaptée. Il s'agit de mobiliser les ressources locales et promouvoir les entrepreneurs locaux pour mieux connecter production, transformation et distribution à l’échelle des territoires.

3. Transformer durablement l’agriculture africaine

Reconnaissant la grande diversité des situations agricoles des pays africains, les experts proposent d’élaborer des stratégies et des modèles de développement agricole adaptés à chaque contexte. Afin de réaliser une croissance agricole rapide et inclusive, qui utilise et préserve tout le potentiel des ressources écologiques, ils insistent sur la priorité à accorder aux agriculteurs familiaux (et à leurs organisations) qui « constituent l’écrasante majorité des producteurs en Afrique » , selon Bruno Losch. Le modèle de la révolution verte n’est pas soutenable. Il ne peut être reproduit et des systèmes techniques adaptés aux changements globaux doivent être promus, notamment l’agro-écologie, à travers une meilleure articulation entre recherche-formation-innovation.

4. Développer l’industrie et les marchés alimentaires africains

Pour répondre à la demande d’emplois et créer plus de valeur ajoutée tout en diversifiant l’économie rurale, la Task Force préconise de développer les chaînes de valeurs locales et régionales et d’accorder la priorité à la transformation agro-alimentaire. Pour améliorer la compétitivité de l’industrie alimentaire africaine, il faut augmenter les investissements privés dans le secteur, en facilitant l’accès aux financements, mais aussi ouvrir les marchés régionaux et apporter des appuis aux petites entreprises locales.

Six actions clés pour une nouvelle Alliance Afrique-Europe

Le groupe d’experts propose pour conclure un plan en 6 actions à court et moyen termes :

  • Action n ° 1 : Soutenir la gouvernance rurale et un programme d'action local innovant, basé sur une approche territoriale
    • Mobiliser les initiatives locales par le biais d'un programme d'action local
    • Créer un réseau de développement territorial et le relier aux initiatives européennes
  • Action n°2 : Maintenir la durabilité environnementale et promouvoir l'action pour le climat
    • Accélérer le cofinancement des plans liés à l'alimentation dans les cadres d'action pour le climat en Afrique, y compris par le biais des mécanismes internationaux de financement de la lutte contre le changement climatique
    • Consolider l'accès sécurisé à la terre
  • Action n°3 : Lancer une initiative en matière de connaissance, d'innovation et de mise en réseau pour la transformation de l'agriculture et des zones rurales
    • Créer des plates-formes de connaissances pour alimenter le dialogue politique national et régional
    • Mettre en œuvre des pôles d'innovation pour soutenir les agro-entrepreneurs et passer au numérique dans les services de vulgarisation, d'apprentissage et de formation professionnelle.
  • Action n ° 4 : Améliorer l'accès aux financements privés et aux instruments de coopération de l'UE en faveur des petites et moyennes entreprises du secteur de l'agriculture et de l'alimentation.
    • Renforcer l'assistance technique pour aider le secteur agroalimentaire à préparer des investissements susceptibles d'être financés par des banques
    • Développer une plate-forme agro-alimentaire UA-UE
  • Action n ° 5 : Renforcer le développement durable des chaînes de valeur, l'intégration régionale et le commerce intrarégional
    • Utiliser, promouvoir et diffuser des outils et des méthodes pour évaluer les chaînes de valeur en termes économiques, environnementaux et sociaux
    • Renforcer le soutien à l'intégration du commerce régional et à l'harmonisation de la réglementation en matière de sécurité sanitaire des aliments, par le biais d’une plateforme de partage des connaissances
  • Action n ° 6 : Rassembler les compétences européennes et africaines en matière de développement agricole et rural
    • Faciliter les programmes de jumelage afin de mettre en relation des experts d’associations, d’entreprises et d’entités publiques
    • Établir des échanges de pairs à pairs, entre les agriculteurs, entreprises et gouvernements.L’objectif de ces échanges de pairs à pairs est de développer le conseil, la formation, les échanges agricoles ; faciliter l’accès au financement pour les PME et augmenter les investissements communs en faveur des entreprises africaines ; renforcer les capacités des services publics dans les zones rurales et les villes secondaires.

La Commission européenne assurera le suivi et la mise en œuvre de plusieurs de ces actions, dont le lancement immédiat d'un programme de jumelage et d'échange entre les organisations agricoles africaines et européennes, d'une plateforme UA-UE pour l'agri-business, et de centres d'innovation pour soutenir les agro-entrepreneurs africains.

Josefa Sacko, Commissaire à l'agriculture de l'Union Africaine s’est félicitée des résultats de ce rapport qui, selon elle, « démontre que les agriculteurs et l'industrie alimentaire doivent travailler main dans la main pour saisir les nouvelles opportunités de la zone de libre-échange continentale africaine ».

« C'est maintenant à nous de nous unir, de donner suite à ces précieuses recommandations et de concevoir des solutions qui peuvent répondre à nos attentes à tous : une transformation rurale positive et un secteur agricole et agroalimentaire inclusif et durable » , a déclaré Neven Mimica, Commissaire européen au développement (lire le communiqué de presse de l’UE).