Agronomes, historiens, économistes, sociologues discutent de l’avenir du textile

Événement 13 juillet 2023
Du champ de coton jusqu’aux fripes, un bout de tissu passe par des centaines de mains et voyage souvent sur plusieurs continents. Une complexité difficile à appréhender, à moins de rassembler un panel de spécialistes apportant leur éclairage sur différentes étapes de la filière. C’est ce qu’a fait Max Havelaar France en mai dernier, avec l’appui du Cirad, à l’occasion de la première édition des « Rencontres Scientifiques de Max Havelaar France ». Dédié au coton, l’événement a permis la rencontre d’agronomes, économistes, historiennes, sociologues, ainsi que d’une représentante de la filière…chacun avec sa pièce du puzzle.
Capsule de cotonnier arrivé à maturité, dans une exploitation à Madagascar © B. Bachelier, Cirad
Capsule de cotonnier arrivé à maturité, dans une exploitation à Madagascar © B. Bachelier, Cirad

Capsule de cotonnier arrivé à maturité, dans une exploitation à Madagascar © B. Bachelier, Cirad

« L’idée de ces rencontres, c’est de faire des allers-retours entre les deux extrémités de la filière textile, du champ de coton jusqu’au recyclage des habits, en passant par toutes les étapes intermédiaires. Comprendre comment est-ce que nos actions ici ou là peuvent se répercuter à large échelle, et ainsi mieux connaître nos marges de manœuvre ». 

Bruno Bachelier est agronome au Cirad, correspondant pour la filière coton. En participant à ces rencontres scientifiques à l’initiative de Max Havelaar France, le scientifique a espoir de contribuer à transformer la filière textile. « Le coton ne représente pas toute la filière textile, et tout le coton n’est pas textile », rappelle-t-il. Néanmoins, une grande partie de la production vient alimenter la confection de tissus, avec des fibres de coton systématiquement mélangées, soit à des cotons d’origines géographiques diverses, soit à d’autres fibres, naturelles, synthétiques ou artificielles.

La filière textile est actuellement responsable d’environ 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Au-delà des enjeux environnementaux, elle est est régulièrement secouée par des débats sociaux ou sanitaires : mauvaise rémunération des agriculteurs, pratiques industrielles douteuses, conditions de travail déplorables au sein des usines, toxicités de certains pesticides ou colorants pour la teinture, etc. Entre la Fashion Revolution Week et la négociation du Parlement européen autour de la réglementation sur le devoir de vigilance des entreprises, 2023 semble une année à changements pour la filière. Et si le maître-mot devenait la « durabilité » ?

C’est en tout cas l’objectif posé par Max Havelaar France lors de ces rencontres scientifiques organisées fin mai. L’ONG promeut déjà un label commerce équitable pour toute une gamme de produits dont la matière première est originaire de pays tropicaux et méditerranéens. Parmi lesquelles figure le coton

Depuis sa création, Max Havelaar France intègre une pluralité de parties prenantes, qui soutient ou diligente de nombreux travaux scientifiques. « C’est d’ailleurs dans l’ADN du mouvement, avec l’association Fairness, qui regroupe des chercheurs autour des thématiques liées au commerce équitable », commente Blaise Desbordes, directeur général de l'ONG, en ouverture de l’évènement. Pour atteindre cette ambition de bâtir un monde où les modèles commerciaux répondent à des principes éthiques et responsables, et où les modes de production et de consommation contribuent au développement durable, « il est nécessaire de mesurer le changement induit, ce pour quoi l’échange avec les chercheurs est essentiel ».

Afin de rester un mouvement apprenant et obtenir des preuves d’impacts de son intervention, l’association Max Havelaar France souhaite s’enrichir de visions pluridisciplinaires sur son action, contribuer à diffuser de la connaissance et rester en dialogue constant avec les experts et les expertes des sujets sur lesquels elle travaille, comme le Cirad.

La fin d’une recherche agronomique déconnectée des enjeux de société

Plantes de services pour diminuer les intrants, couverture permanente du sol pour préserver la biodiversité, meilleure gestion de l’eau, biopesticides ou biofertilisants… Les pratiques agronomiques durables, souvent agroécologiques, existent déjà en nombre au niveau des fermes de coton. Si le Cirad continue d’accompagner les producteurs vers des systèmes de cultures plus résilients, un constat est né au fil des années : le combat pour plus de durabilité se joue aussi, et peut-être d’abord, hors du champ. 

A titre d’exemple, la complexité et l’opacité de la filière textile impactent la traçabilité du coton, et donc la juste rémunération des agriculteurs aux pratiques vertueuses pour l’environnement. Selon le Fashion Revolution Transparency Index de 2022, sur une étude réalisée auprès de 250 grandes marques et détaillants de mode à travers le monde, 50 % des grandes marques ne divulguent aucune information sur leurs chaînes d'approvisionnement. 85 % ne donnent pas leurs volumes de production annuels de vêtements, malgré la surproduction et le gaspillage. Seuls 11 % des marques publient les résultats des analyses des eaux usées de leurs fournisseurs, alors que l'impact de l’industrie textile sur la pollution de l’eau est notoirement connu.

Bruno Bachelier dénonce également « l’effet boomerang » des fripes renvoyées d’Europe vers plusieurs pays africains, qui exportent pourtant du coton brut. « La valeur ajoutée des vêtements produits semble échapper au continent africain… Non seulement le coton exporté sous forme de balles de fibre brute a moins de valeur que transformé en fibre ou en étoffe, mais il revient ensuite dans les pays producteurs sous forme de déchets ». Le chercheur rappelle ainsi que, pour un t-shirt en coton en provenance d’Afrique, la production et l’égrenage du coton ne concentrent que 2 % de sa valeur marchande, contre 55 % pour la conception, la confection, l’emballage, le marketing et la vente. 

Les disciplines scientifiques se rassemblent autour de la notion de « durabilité » 

Malgré des visions différentes, l’ensemble du panel se rassemble autour de l’objectif commun de « durabilité », soit la prise en compte des trois composantes sociale, économique et environnementale. « La durabilité, c’est ce qui nous permet de penser à la fois aux conditions de travail, à l’environnement, et à la viabilité économique des activités, le tout dans une filière textile complexe, fragmentée et opaque » résume Bruno Bachelier. 

Agronomie, économie, histoire, sociologie : les liens entre disciplines permettent de dresser un tableau clair des enjeux d’une filière et de redonner sa juste place à l’humain. En conclusion, les intervenants partagent le même constat : afin de réduire les impacts environnementaux du secteur, la définition d’un juste prix et d’un revenu minimum est indispensable.

Aux termes de cette première expérience, les participants sont unanimes : il faut continuer à nourrir les échanges autour du coton, et propager la dynamique à d’autres filières. Café, cacao, banane ? A quand les prochaines rencontres scientifiques de Max Havelaar France ? 

 (Re)voir les échanges lors des rencontres :

Lire le résumé de la rencontre :