Marisa Peyre : « Une émergence de maladie, cela se bloque au premier cas »

Regard d'expert·e 28 octobre 2020
Comment limiter les risques de propagation des maladies issues de la faune sauvage à l’être humain ? C’est le propos du livre blanc et du policy brief produits dans le cadre du programme Sustainable Wildlife management et présenté lors du Global Landscapes Forum 2020. Questions à Marisa Peyre, épidémiologiste au Cirad, très impliquée dans la conception de ces documents et experte en surveillance des maladies animales et zoonotiques.
Marisa Peyre est épidémiologiste au Cirad et experte en surveillance des maladies animales et zoonotiques © Cirad

Le livre blanc et le policy brief fournissent des recommandations afin de réduire les risques de propagation de maladies de la faune sauvage à l’être humain. Quel est pour vous le levier fondamental ?

Marisa Peyre : La surveillance est le premier rempart face à l’émergence d’une maladie. Or, la surveillance, c’est avant tout un réseau d’acteurs. Les acteurs de la santé animale, ceux de la santé humaine et de la santé environnementale, y compris les communautés locales, les autorités administratives et les acteurs privés doivent dialoguer. Sans échange d’information, il n’y a pas de surveillance véritablement efficace. Prélever et tester est également nécessaire, mais ce n’est pas suffisant.

Une émergence, cela se bloque au premier cas. Lorsqu’une infection humaine inhabituelle est repérée, comme le coronavirus Sars-CoV-2 l’a été en Chine en décembre dernier, les médecins doivent immédiatement la déclarer. Ils doivent aussi rapidement dialoguer avec d’autres secteurs comme les vétérinaires qui peuvent être au courant d’événements suspects chez des animaux ou sur des marchés comme ça a été le cas pour la pandémie actuelle. Ces actions peuvent aider à identifier toute nouvelle maladie et à prendre des décisions adaptées telles que l’isolement d’une ou plusieurs personnes ou la fermeture d’un marché. L’accès et la rapidité du partage de l’information sur la 1re transmission d’animal à humain ou d’humain à humain conditionnent la suite des événements. Le temps perdu concourt à la diffusion de la maladie.

Le programme Sustainable Wildlife Management traite les questions de gestion, commerce et consommation des animaux sauvages. Quelles sont les actions à mettre en œuvre dans ce contexte ?

M. P. : Pour de nombreuses populations, notamment dans les pays tropicaux en développement, manger de la viande sauvage est une question de survie et non un luxe. L’élevage de la faune sauvage a également beaucoup progressé, en lien avec des comportements médicinaux ou des goûts de consommation. Or on sait désormais qu’une hausse de la pression sur la faune sauvage élève le risque de transmission de maladies. Faut-il pour autant bannir le commerce de viande de brousse ? De telles restrictions auraient un impact majeur sur la sécurité alimentaire locale, sur l’économie nationale et sur l’identité culturelle. Elles déplaceraient la question vers l’illégalité. Il en résulterait un manque de visibilité et de contrôle empêchant la surveillance et engendrant inévitablement un risque accru. En Asie, pendant la crise de l’influenza aviaire en 2003, l’interdiction des marchés de volailles vivantes a augmenté les risques pour la santé humaine en rendant les contrôles impossibles. En Afrique subsaharienne, pas moins de 80 % de l’alimentation est commercialisée sur des marchés informels, complexifiant la surveillance.

Afin de réduire les risques de transmission, les différents secteurs de la santé animale, de la santé humaine et les spécialistes de l’environnement doivent travailler ensemble de façon coordonnée et pragmatique selon l’approche « Une seule santé ». Ce travail doit se faire au niveau local et avec les populations. C’est ce qui permettra d’assurer une détection précoce et un début de gestion très rapide.

Avez-vous déjà expérimenté ces approches de surveillance participative ?

M. P. : Nous avons mis en place des formations participatives pour les acteurs locaux, notamment dans le domaine de la santé animale, en associant des médecins et responsables de l’environnement. Chaque type d’acteur doit être en mesure de comprendre et de mesurer le rôle, les contraintes et les objectifs des autres. Ce n’est que par cette connaissance et cette écoute qu’un travail collaboratif pourra engendrer la réactivité nécessaire à la gestion d’une crise. Les communautés locales doivent s’impliquer dans le développement des stratégies. Au Zimbabwe, par exemple lors de ces formations, nous avons simulé un cas de chien enragé ayant mordu un enfant. Chaque personne joue un rôle. Ils mettent en scène leur pratique – surveillance, transmission de l’information aux instances nationales puis retour au terrain et action. Ils se rendent compte de la lenteur du processus et réfléchissent pour le rendre plus efficace.

Ce type de formation n’est pas spécifique aux pays tropicaux en développement. Elles devraient et commencent d’ailleurs à être mises en œuvre dans les pays industrialisés où les politiques sanitaires, souvent plus contraignantes, ne sont pas respectées par tous les acteurs pour des raisons qui sont rationnelles, à leur niveau.

Est-ce réaliste ?

M. P. : C’est la meilleure option que l’on ait pour le moment. Et cela marche très bien pour la santé animale. La surveillance participative pour une détection précoce permet d’enrayer les épidémies au niveau local. Les vétérinaires se déplacent et identifient des maladies avant toute diffusion. On l’a constaté, par exemple, pour des cas de grippe aviaire dans les élevages de volaille en Asie du Sud-Est. La surveillance participative a également permis l’éradication de la peste bovine en 2011, en identifiant les tout derniers foyers dans des zones reculées d’Afrique. Cela a aussi fonctionné en santé humaine, pour Ebola, dans certaines régions.

Mais la mise en place de cette surveillance participative, combinée à une analyse de risque, doit être pérenne. On en perd tout le bénéfice si elle demeure ponctuelle. Pour éviter cela, les financements internationaux sont nécessaires, mais pas suffisants, ces activités doivent faire partie des plans budgétaires des états et des partenariats avec le secteur privé peuvent être envisagés pour pérenniser ces actions sur le long terme.

En 2003, lors de l’émergence de la grippe aviaire, les pays à l’origine de l’épidémie (Vietnam, Cambodge, etc.) ont mis en place un plan de gestion pandémique dans les zones à risques. C’est précisément ces mêmes pays qui s’en sont le mieux sortis dès le début de la crise de la COVID-19. Certaines actions ne sont pas compliquées à mettre en place : l’arrêt des vols aériens au départ du premier pays contaminé par exemple a été initié par le secteur privé (les compagnies aériennes) pour préserver la santé de leur personnel. Cela aurait pu être une décision politique.

Il sera nécessaire de comparer l’impact économique de la crise actuelle au coût de la mise en place et du maintien d’un système de surveillance collaboratif et coordonné des maladies émergentes. La stratégie est au final une question de coût-bénéfice en prenant en compte les aspects sociaux et économiques des mesures de préventions face à l’impact des maladies émergentes.