Vers une gestion intégrée de la fertilité des sols pour assurer la sécurité alimentaire

05/12/2024
Durant une conférence-atelier organisée les 28 et 29 novembre à Antananarivo, Madagascar, plus de 150 ingénieurs agronomes, techniciens, chercheurs, décideurs, paysans et acteurs du secteur privé et du développement agricole ont été réunis autour du thème « gestion durable de la fertilité des sols face au défi de la sécurité alimentaire ». L’objectif était de rappeler à tous l’urgence d’augmenter les productions agricoles et d’animer un débat sur les voies à emprunter pour y arriver, en réfléchissant en particulier sur la possibilité d’utiliser des engrais minéraux en combinaison avec des pratiques agroécologiques pour assurer la durabilité et la productivité de l’agriculture familiale malgache, et d’en retenir des éléments qui pourraient servir à l’élaboration d’un plaidoyer.

Les participants à l'atelier gestion durable de la fertilité des sols face au défi de la sécurité alimentaire à l'hotel Panorama le 28 Novembre 2024 © M. Rananja, Cirad

Répondre à la croissance démographique

Selon les estimations, la population malgache atteindra le nombre de 50 millions d’ici 2050. Les projections suggèrent qu’à cette échéance, avec les tendances actuelles de la production rizicole (2,6 tonnes de paddy par hectare), il sera nécessaire de doubler la production de riz malgache pour atteindre la souveraineté alimentaire. A superficie constante il faudrait donc doubler le rendement moyen national ; ou doubler les superficies des plantations de riz. La solution combinera certainement une augmentation des surfaces, sachant que malgré la disponibilité des terres, leurs sols ne sont pas de bonne qualité. Et une augmentation conséquente des rendements est impératif en visant un rendement moyen national supérieur à 4 tonnes.

La gestion durable de la fertilité des sols : combiner matières organiques, légumineuses et engrais minéraux

A l’exception des zones Betafo-Antsirabe et Lac Itasy, dotés de sols volcaniques fertiles, toute l’Île Rouge est recouverte de sols pauvres, particulièrement des sols ferralitiques, multicarencés en éléments tels que le Phosphore, l'azote, le Calcium et bien d’autres.

Travail au sein d'une exploitation agricole familiale © M. Vigne, Cirad 

Les apports de matières organiques au sol, sous forme d’engrais organiques tels que les fumiers, les composts et les engrais verts, sont essentiels pour maintenir les cycles biologiques et pour une bonne santé du sol. Ces matières organiques apportent du carbone et les nutriments minéraux « les plus importants » dont l'azote, le phosphore et le potassium mais également du calcium, du magnésium et d'autres microéléments. La matière organique du sol améliore également la rétention des ions minéraux. La capacité de rétention de l’eau, réduit la toxicité aluminique, tout en favorisant l‘efficacité des engrais minéraux.

L’importance des légumineuses a également été soulignée, pour leur capacité à enrichir le sol en azote via la fixation symbiotique quand elles sont cultivées dans de bonnes conditions, sans manquer de phosphore. 

Mais les limites et contraintes des apports d’engrais organiques et des légumineuses ont été rappelées. D’une part les ressources nécessaires aux engrais organiques sont limitées dans de nombreuses régions agricoles, et leur manipulation nécessite du temps de travail. D’autre part concernant les légumineuses il faut qu’elles aient une utilité directe pour les paysans en plus de leur capacité fertilisante pour être réellement adoptées. De plus elles ont besoin de phosphore pour la fixation symbiotique de l’azote, élément bien souvent trop peu disponible et qu’il faut donc apporter au sol.

Par ailleurs il y a beaucoup de pertes de nutriments dans les processus de fabrication des engrais organiques type fumier et compost. Aussi, si leurs apports divers sont indispensables à la santé des sols, au final les quantités de nutriments qu’ils apportent sont assez faibles et non compatibles avec l’augmentation importante des productions qui apparait indispensable pour satisfaire la demande alimentaire.

Il est possible de renforcer l’offre en engrais organiques en explorant les possibilités d’en produire en dehors des fermes (« off farm ») à partir du recyclage des déchets. Il apparait que l’Etat devrait soutenir ces initiatives qui contribuent aussi au nettoyage des villes.

M. Bertrand Muller © A. Sedra, Fofifa/Dinaamicc

Au final il semble que l’usage des fertilisants minéraux est incontournable si l’on veut augmenter significativement les productions agricoles pour faire face au défi de la sécurité alimentaire. Mais leur usage doit être bien raisonné, et raisonnable, et indispensablement toujours couplé à celui d’engrais organiques. 

Bertrand Muller
Chercheur en agronomie au Cirad

 

Les exposés et les discussions ont ainsi mis en lumière l’importance d’une gestion intégrée de la fertilité des sols, en combinant matière organique, engrais minéraux, et légumineuses, pour maintenir fertilité et productivité sur le long terme. Cela est conforme aux recommandations du récent Sommet Africain sur les Engrais et la Santé des Sols qui s’est tenu à Nairobie en mars 2024.

Comment faciliter l’accès aux intrants

Le sujet du coût des fertilisants a été évoqué par les agriculteurs qui les trouvent trop chers globalement. La possibilité de subventions a été mentionnée. Mais les débats ont également indiqué qu’un meilleur accès au crédit (facilité d’accès, taux plus bas) pourrait faciliter l’usage des intrants sans nécessairement recourir à des subventions.
Selon la directrice générale des partenariats internationaux, le financement pour des subventions d'engrais ne figure pas dans les perspectives de l'Union Européenne. Celles-ci tendraient plus vers l'appui aux productions off-farm (par recyclage urbain) d’engrais organiques vu les effets pervers des subventions, constatés dans d'autres pays.

Des réflexions multi-acteurs pour proposer des solutions

En présence de plusieurs experts nationaux et internationaux, ainsi que des représentants de l’Etat, des bailleurs, du secteur privé et du monde paysan, le premier jour de la conférence-atelier a permis d’engager des discussions suite aux présentations qui ont concerné les huit thèmes suivants : 

  1. Les réalités démographiques et la sécurité alimentaire à Madagascar ;
  2. La nature et les limites des sols à Madagascar ;
  3. Les sources naturelles de nutriments pour gérer la fertilité ;
  4. Les perspectives de production d’engrais organiques et de biofertilisants en Afrique ;
  5. Les limites des fumures organiques et des légumineuses pour produire plus ;
  6. Les perspectives de productions off-farm d’engrais organiques à Madagascar ;
  7. Les contraintes technico-économiques des exploitations agricoles à Madagascar et leurs usages des fertilisants organiques et minéraux ;
  8. La vision et politique de l’Etat Malagasy pour soutenir les productions agricoles.

Le deuxième jour de la conférence atelier a permis d’organiser des échanges et réflexions entre tous les acteurs concernant 4 grands sujets liés à la gestion de la fertilité des sols :

Groupe de travail lors d'un atelier pour l'élaboration d'une note politique © M. Rananja, Cirad

  • Le Groupe 1 a discuté des moyens d'augmenter la disponibilité des fumures organiques au niveau des exploitations, en mettant l'accent sur la collecte, la gestion et la valorisation des matières organiques à l’échelle locale.
  • Le Groupe 2 a abordé les défis liés à l’accessibilité et au bon usage des engrais minéraux, notamment leur coût et leur distribution dans les zones rurales.
  • Le Groupe 3 a exploré comment intégrer la gestion de la fertilité des sols dans les aménagements paysagers, afin de promouvoir une agriculture durable en harmonie avec les écosystèmes locaux.
  • Enfin, le Groupe 4 a réfléchi aux solutions pour stimuler l’accès au compost d’origine urbaine, un thème particulièrement pertinent pour les exploitations agricoles familiales (EAF), qui dépendent fortement des ressources locales et des pratiques de recyclage des déchets organiques.

Les éléments des discussions réalisées au cours de l’atelier seront rassemblés et partagés à tous, puis utilisés pour la construction d'un plaidoyer en faveur de la promotion de l'agroécologie au niveau national. 

Organisation

La conférence-atelier sur la gestion durable de la fertilité des sols face au défi de la sécurité alimentaire a été organisé par les équipes (a) du projet DINAAMICC, coordonné par le Cirad et financé par l’Union Européenne, (b) de l’action ProSilience, pilotée par la GIZ et cofinancée par l’Union Européenne, et (c) du projet GP SAEP, mené par l’ONG Action Inter-coopération Madagascar, financé par le FIDA et l’Union Européenne.
L’événement a eu lieu sous le parrainage du Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage (MINAE), en partenariat avec le Secrétariat d’État en charge de la Souveraineté Alimentaire (SESA) et l’Agence Française de Développement (AFD).