Retour sur une épidémie annoncée, avec le nouvel ouvrage de Serge Morand

Just out 23 September 2020
La surprise de la Covid-19 n’en était pas vraiment une pour de nombreux scientifiques qui travaillent sur les maladies émergentes. Serge Morand, dans un nouvel ouvrage paru chez Fayard en septembre 2020, revient sur l’accablement qu’il a ressenti durant les mois qui ont précédé l’épidémie. L’écologue et spécialiste des maladies infectieuses pointe du doigt nos pratiques agricoles et dresse un constat pessimiste mais nécessaire des évolutions récentes.
L'homme, la faune sauvage et la peste, de Serge Morand (éd. Fayard)

L’agriculture, la source de tous nos maux ?

Antibiotiques, pesticides, déforestations, … les pratiques agricoles dominantes sont néfastes pour l’environnement et, en conséquence, nos systèmes de santé. Serge Morand, qui parle d’un « monde en souffrance », retrace les risques sanitaires que nous font encourir ces pratiques.

« La pandémie due au SARS-CoV-2 ne m’a pas surpris. Les émergences de maladies infectieuses s’accélèrent depuis déjà plusieurs années , explique le scientifique. L’agriculture en est une des causes, car c’est bien souvent à travers les activités agricoles que se développent de nouvelles interfaces entre la faune sauvage, qui est un réservoir à virus, et les animaux domestiques et les êtres humains. »

L’exemple de l’émergence du virus Nipah est, à ce titre, éloquent. Ce virus est responsable d’une fièvre hémorragique virulente, à la fois pour les animaux et pour les êtres humains. Apparue pour la première fois en 1998, dans un élevage de porcs en Malaisie, elle a coûté la vie à 105 personnes, en plus d’entraîner l’abattage de plus d’un million de cochons.

« Ce virus est naturellement présent chez des populations de chauves-souris frugivores, qui vivent habituellement en forêt , indique Serge Morand. Or, en 1998, la Malaisie connaissait une période de forte déforestation, notamment pour la culture de palmier à huile. De nombreuses chauves-souris se sont ainsi déplacées et rapprochées des zones anthropisées. C’est comme cela que des chauves-souris ont élu domiciles dans les arbres fruitiers qui surplombaient les élevages de porcs. Leurs défections se sont mélangées à l’alimentation des animaux domestiques qui vivaient en dessous, et le virus est ainsi passé de la chauve-souris au cochon…puis aux éleveurs. »

Le mythe du problème démographique

Pour justifier ces pratiques agricoles, l’augmentation démographique est souvent mise en avant. L’industrialisation et l’intensification de l’agriculture permettraient en effet d’assurer à tous une alimentation suffisante. Serge Morand, dans son ouvrage, réfute cet argument.

« L’accroissement de la population mondiale ne permet pas de justifier nos pratiques agricoles , souligne le chercheur. Et s’il fallait parler en termes de résultats, ils ne sont de toute façon pas là : nous sommes dans un monde de mal-nourris, malgré tous ces « efforts ». La dénutrition existe toujours, et surtout nous voyons une augmentation des cas d’obésité et de maladies auto-immunes, comme le diabète. Il s’agit là d’un signal : nos systèmes agricoles et alimentaires produisent mal. »

Pour un pessimisme actif : changer notre relation aux animaux et à la nature

Si l’ouvrage de Serge Morand se veut pessimiste, c’est pour mieux engager le débat vers des transitions agricoles durables.

« Je crois au pessimisme actif , assure l’auteur. Non seulement nos systèmes agricoles et alimentaires ne fonctionnent pas, au regard des objectifs posés (nourrir sainement la planète), mais ils sont devenus dangereux pour notre santé. Nous devons changer notre relation aux animaux, domestiques comme sauvages. Le pangolin et la chauve-souris ne sont pas responsables de l’épidémie de la Covid-19, nos systèmes mondialisés le sont. Et si nous ne faisons rien, nous serons de nouveau victimes d’autres épidémies dans les années à suivre. »

Référence

Morand, Serge. 2020. L’homme, la faune sauvage et la peste . Fayard.