Questionner la construction des vulnérabilités dans l’élaboration des politiques d’irrigation

11/11/2022
Face aux résultats mitigés des programmes de développement de l’agriculture irriguée, comprendre les processus qui construisent et font évoluer la vulnérabilité des bénéficiaires est essentiel. Ils peuvent devenir un levier pour les politiques d’adaptation afin de mieux soutenir les agriculteurs-irrigants. Cette thèse de doctorat a été soutenue par Anne-Jeanne Sila le 15 septembre 2022 à Montpellier

Périmètre irrigué villageois de Guédé Village aménagé sur les bordures du Doué, un bras du fleuve Sénégal (© Anne Sila, 2020)

Le développement des cultures irriguées apparaît comme le moyen de répondre aux conditions hydro climatiques contraignantes rencontrées dans la vallée du fleuve Sénégal en permettant d’accroitre la production agricole et d’améliorer la sécurité alimentaire. Dans le même temps, la mise en place d’infrastructures d’irrigation est susceptible de modifier les systèmes de production et l’organisation du système socio-écologique en place. Elle expose ainsi les agriculteurs à une multiplicité de stress qui accroissent la vulnérabilité sociale, économique, politique et environnementale des populations.

En étudiant le cas spécifique du périmètre irrigué de Guédé qui est l’un des plus anciens dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, ce travail de recherche questionne les impacts des aménagements hydro-agricoles sur la vulnérabilité des populations bénéficiaires. Il vise en particulier à comprendre les états et les processus à travers lesquels la vulnérabilité émerge et se maintient dans le temps, et qui devraient être la préoccupation première permettant de mettre en place des politiques d’adaptations ciblées et appropriées. Ce travail mobilise une approche diachronique, pluridisciplinaire et systémique. Il questionne la manière dont les changements intervenus avec l’introduction de l’irrigation ont pu modifier les caractéristiques, le fonctionnement et la dynamique du système irriguée, et construire une vulnérabilité dynamique et différentielle à différents facteurs de stress en interaction.

Réfléchir sur les causes profondes de la vulnérabilité et prendre en compte ses spécificités dans les processus d’adaptation

L’analyse de la trajectoire historique de mise en place des infrastructures hydro-agricoles a entrainé des changements dans l’occupation de l’espace et a transformé les conditions d’accès aux ressources en terre et en eau par les différents groupes sociaux. L’interprétation de la situation actuelle par le biais de l’histoire orale montre que la vulgarisation et le soutien de l’agriculture irriguée a entrainé un abandon progressif des zones de cultures traditionnelles (Walo, Diéri) au profit d’une agriculture moins diversifiée. Les réformes ont déstabilisé l’équilibre que les populations trouvaient dans la combinaison de différentes activités de productions (agriculture, élevage, pêche) et ont modifié les conditions d’accès aux ressources. Les dotations différenciées en ressources qui découlent du système d’accès, conditionnent les opportunités et les contraintes des ménages pour satisfaire leurs besoins. Ces changements entrainent des réponses des populations qui créent des boucles de rétroaction générant des stress sur les ménages, les ressources, l’environnement et les structures sociales.

L’analyse de la vulnérabilité à l’insécurité économique a permis de mettre en évidence la pauvreté et les inégalités entre les ménages du système irrigué : 75% des ménages sont en dessous du seuil de pauvreté défini par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie du Sénégal. Les superficies détenues par les ménages sont beaucoup trop petites pour couvrir les charges de productions et les besoins alimentaires et monétaires des ménages. La productivité du travail agricole est faible et l'agriculture n’offre pas à elle seule des moyens de subsistance suffisants pour assurer la sécurité des ménages.

La nécessité d’une approche systémique et pluridisciplinaire pour favoriser la résilience des exploitations agricoles

La vulnérabilité des ménages agricoles du système irrigué de Guédé est déterminée par la combinaison de la condition initiale des ménages et du contexte dans lequel ils évoluent. La vulnérabilité actuelle de ces ménages s’est construite dans le temps long au fur et à mesure que les sociétés aménagent et modifient le territoire. En contradiction avec les effets positifs attendus de l’irrigation sur la production et les revenus, cette thèse met en évidence une exacerbation de la vulnérabilité des ménages et permet d’alimenter une réflexion plus systémique et nuancée sur les mécanismes qui fondent la construction et l’évolution de cette vulnérabilité.

La vision transformatrice du système d’activité qui accompagne les politiques en faveur de l’irrigation est restée économique et dans une moindre mesure technologique. Elle a cependant omis de prendre en compte les moyens d’existences des populations avec leurs vulnérabilités propres et les systèmes socio-écologiques sur lesquels ils reposent. Face au regain d’intérêt que connait le développement de l’irrigation au cours des dernières années, cette analyse attire l’attention sur la nécessité de prendre en compte l’hétérogénéité des schémas de vulnérabilité pour éviter une « mal adaptation » et de renforcer la résilience des populations qui cultivent dans les périmètres irrigués.