Genre et alimentation à l’épreuve de la vie urbaine

Événement 15 octobre 2020
Le dernier symposium « Manger en ville » s’est tenu le 30 septembre et le 1er octobre 2020. Cette 3e édition a donné à voir des changements dans les rapports de genre liés à l’urbanisation sur trois continents. Organisé par le Cirad et la Chaire Unesco Alimentations du Monde, l’évènement a virtuellement réuni 480 participants de plus de 40 pays. Morceaux choisis.
Les femmes, majoritairement présentes sur le marché de Siem Reap au Cambodge
Les femmes, majoritairement présentes sur le marché de Siem Reap au Cambodge

© C. Dangléant, Cirad

L’urbanisation est si rapide dans les pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie que les références au rural sont encore présentes. Même si une classe moyenne émerge à côté d’une petite élite très riche, la majeure partie de la population reste précaire. Des systèmes alimentaires très différents s’entremêlent (supermarchés, marchés, vendeurs de rue, jardins, produits importés ou locaux, bruts ou transformés par l’artisanat ou l’industrie). Cette hétérogénéité des situations en évolution rapide génère de nombreux changements, notamment dans les rapports de genre.

La répartition genrée du travail domestique évolue lentement

La préparation du repas reste très majoritairement attribuée aux femmes. Aujourd’hui, avec l’engouement pour une alimentation saine et la revalorisation du « fait-maison », les femmes se retrouvent chargées de cette nouvelle responsabilité. Cette charge mentale et physique s’ajoute aux injonctions de contribuer aux revenus du ménage, d’éduquer et de soigner les enfants et vient contrarier leur propre souhait d’émancipation. Au Maroc, certaines femmes préfèrent manger, à l’extérieur, un repas de type fast-food ou avoir recours à des produits industriels. Elles ont bien conscience de s’écarter des fonctions nourricières qui leur sont attribuées. Malgré un sentiment de culpabilité, elles y voient un moyen d’affranchissement des attentes des hommes.

La crise de la Covid-19 induit des situations paradoxales comme l’ont montré des communications sur le Maroc et sur la Malaisie. Le confinement s’est parfois traduit par une redistribution des rôles alimentaires pour les courses, la cuisine ou la vaisselle. En contrepartie, il a aussi dans certains cas réaffirmé la distinction entre espace domestique des femmes et espace extérieur où les hommes s’aventurent.

Féminités, masculinités et genre

Les modèles de la masculinité semblent davantage évoluer en ville où l’anonymat favorise la transgression des normes. Le masculin est aussi redéfini par les transformations des modèles du féminin. L’un et l’autre se co-construisent en partie en interaction. Plusieurs communications ont montré comment émergent des figures de femmes qui investissent des activités dominées par les hommes jusqu’à en devenir des « femmes-mâles », comme par exemple à Abidjan. Le genre est bien une construction socio-culturelle.

Trois espaces de changements

Le symposium a fait émerger trois grandes tendances qui s’expriment dans la ville et se retrouvent partout dans le monde sous des formes différentes.

  • L’espace marchand domine l’urbain en termes d’accès à l’alimentation. La marchandisation empiète ainsi sur l’espace domestique. C’est un terrain de changement de la répartition des tâches dans de nombreuses villes : sur les marchés d’Abidjan, à Buenos Aires, en Amazonie, au Sri Lanka ou au Brésil.
  • L’espace numérique entraîne également des changements comme en Malaisie et au Maroc. Les réseaux sociaux floutent la frontière entre espace domestique et espace public et y ajoutent de la mixité.
  • Le troisième espace, relatif à la contestation de la viande, interroge la question du patriarcat. Certaines thèses de l’éco-féminisme dénoncent tout à la fois l’oppression des femmes, des animaux et de la nature. Divers travaux montrent que l’engagement écologique a un genre privilégié – féminin en l’occurrence - et que cet engagement s’observe dans la sphère domestique par le biais de l’alimentation.

Dans l’esprit des deux premiers symposium « Manger en ville » et dans l’ouvrage qui en a été tiré, il est à nouveau apparu fécond de croiser les regards entre continents sur cette question universelle des rapports de genre. Et si les résistances existent, les communications ont montré que des changements s’amorcent dans les rapports de genre comme dans les relations scientifiques entre Nords et Suds.