Alternative aux antibiotiques : se protéger des bactéries sans les attaquer de front

Science en action 18 novembre 2019
L’antibiorésistance tue 700 000 personnes par an à travers le monde. En 2050, elle pourrait en tuer 10 millions par an. Pour éviter ce scénario catastrophe, des chercheurs du Cirad en Guadeloupe et leurs partenaires* étudient comment les bactéries attaquent les cellules. L’objectif : trouver des moyens de rendre ces bactéries pathogènes inefficaces sans utiliser d’antibiotiques. La maladie dans le viseur des scientifiques est la cowdriose, une maladie mortelle pour les ruminants des régions tropicales et causée par la bactérie Ehrlichia ruminantium.
© D. F. Meyer, Cirad

Lors de l’apparition d’un nouvel antibiotique, les bactéries peuvent trouver la parade en moins de deux ans ; d’où l’antibiorésistance galopante et la nécessité de trouver des alternatives. C’est dans cet esprit que travaille Damien Meyer du Cirad de Guadeloupe et ses partenaires*. « Plutôt que de “taper sur” les bactéries, ce qui les pousse à se défendre, nous souhaitons les rendre inopérantes en renforçant la résistance de leur hôte, résume le biologiste du Cirad. Pour cela, nous cherchons à identifier l’arsenal utilisé par les bactéries pour zombifier les cellules qu’elles infectent, notamment celui d’Ehrlichia ruminantium (responsable de la cowdriose, une maladie tropicale mortelle des ruminants).

Le piratage bactérien de la cellule hôte, une stratégie bien rodée

Quand une bactérie pathogène pénètre dans une cellule, elle n’a qu’un objectif : s’y répliquer et coloniser l’organisme. Sa stratégie : reprogrammer sa cellule hôte à son profit. Pour mener à bien ce piratage, elle injecte des protéines, appelées « effecteurs », dans divers compartiments de la cellule. Par exemple, elle empêche ainsi le suicide de la cellule ce qui entraînerait sa perte. Elle réussit aussi à se camoufler du système immunitaire et à capter les nutriments de la cellule pour se nourrir. Le travail des chercheurs consiste donc à identifier les différents effecteurs produits par la bactérie, leurs cibles et comment ils agissent précisément.

Identifier l’arsenal des bactéries pour s’en protéger

« Tout d’abord, grâce à un logiciel que nous avons développé, S4TE 2,0 (pour Searching algorithm for Type IV effector proteins), nous prédisons à partir du génome d’une bactérie, les gènes qui codent pour des effecteurs potentiels, explique Damien Meyer. Puis, nous les validons et testons leur effet sur des cellules.  » C’est ainsi qu’a été identifié Erip 1, le premier parmi la cinquantaine d’effecteurs prédits chez Ehrlichia ruminantium. « Nous cherchons maintenant à déterminer comment cette protéine agit sur le noyau  », complète le biologiste. Une fois ce mécanisme de piratage d’Ehrlichia identifié, les scientifiques vont chercher un moyen de renforcer la protection des cellules attaquées.

Une voie thérapeutique efficace pour plusieurs maladies

Le but est donc d’éviter que les animaux développent la cowdriose, mais pas uniquement. En effet, si l’arsenal d’effecteurs diffère d’une bactérie à l’autre, ses effets sont les mêmes. Les méthodes pour contrecarrer Ehrlichia pourraient donc être appliquées à d’autres maladies plus connues, notamment humaines comme la légionellose, la salmonellose, la maladie de Lyme, etc.

Comprendre la protection naturelle de certains organismes

Par ailleurs, Ehrlichia est transmise par les tiques avec lesquelles elle vit en étroite association sans les affecter. Dans le même esprit, Wolbachia qui fait partie de la même famille bactérienne, cohabite en symbiose avec les moustiques malgré un arsenal d’effecteurs potentiellement toxiques. Chez ces hôtes, le piratage bactérien est donc sous contrôle. « Identifier comment les cellules des tiques et des moustiques tolèrent les bactéries pourrait nous permettre de provoquer ces mêmes mécanismes chez des hôtes sensibles qui, eux, tombent malades, conclut Damien Meyer. Enfin, dans tous les cas, renforcer les défenses des cellules par une action pharmaceutique antagoniste à celle de la bactérie et sans agir directement sur elle, ralentira l’apparition de résistances éventuelles.  » Une réelle piste alternative à l’usage des antibiotiques pour lutter contre les maladies infectieuses.

* Centre international de recherche en infectiologie (CIRI) de Lyon, Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (IRIM), Université d’Oklahoma (États-Unis), Département de l’agriculture des USA – unité de recherche maladie animale (États-Unis), Université du Texas A&M (États-Unis).