Une science ouverte pour une science mondiale, un enjeu collectif au Sud comme au Nord

Regard d'expert 21 octobre 2019
Donner libre accès aux résultats de recherche : une démarche louable dans un monde où la compétition est à l’œuvre dans la recherche comme dans l’enseignement et pour l’innovation. Quel en est l’intérêt ? Comment lever les freins ? Des questions qui seront au cœur du 1er colloque « Science ouverte au Sud » organisé par le Cirad, l’IRD et l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar, Sénégal du 23 au 25 octobre 2019. Alors que le Cirad est engagé pour une science ouverte depuis 2006 avec la signature de la déclaration de Berlin, Marie-Claude Deboin, déléguée à l’Information scientifique et technique au Cirad, précise l’enjeu collectif de cette démarche au Sud comme au Nord.

La science ouverte telle qu’elle est définie depuis quelques années, consiste-t-elle en un accès libre et total aux produits de la science ?

Marie-Claude Deboin : Dans la notion de science ouverte, on retrouve à la fois des principes et des pratiques de collaboration mais aussi de partage. Il s’agit d’être en mesure de mettre en commun et à la disposition de tous, des produits issus de la recherche. Mais cela se fait dans le respect des conventions et des réglementations internationales ou nationales. Cette démarche de collaboration, de transparence et d’ouverture permet de rendre la recherche plus rigoureuse et reproductible, au bénéfice de la communauté scientifique et au-delà, de la société civile et du monde économique, d’autant plus quand cette recherche est financée sur fonds publics. Quiconque doit être en mesure d’accéder aux résultats de ces recherches, de s’en emparer et d’y ajouter une valeur. Par exemple, une start-up peut vouloir développer une application ou un service innovant basés sur des résultats librement accessibles. La science ouverte constitue ainsi un terreau d’innovations et d’emplois.

Le colloque « Science ouverte au Sud » est organisé du 23 au 25 octobre 2019 à Dakar. Quels sont les enjeux de cette posture d’ouverture pour les pays du Sud en particulier ?

M.-Cl. Deboin : La sensibilisation à la science ouverte est relativement récente. Elle s’est accrue en 2013 avec le lancement de l’initiative internationale Research Data Alliance (RDA). Plus récemment, en 2018, la France a publié le Plan national pour la science ouverte. Ce plan prévoit notamment une obligation de diffusion en accès libre des publications et des données issues des recherches financées sur fonds publics. La science ouverte doit néanmoins encore être mise à l’épreuve, quelle que soit la région du monde. Cette phase d’expérimentation soulève des questions que l’on ne s’était pas posées, jusqu’alors, de façon aussi formelle. Quel statut donner à des données coproduites par plusieurs organismes ? Qui en est dépositaire ? Qui peut décider de la réutilisation des données produites dans un autre pays ? Sous quelles conditions peuvent-elles être réutilisées ?

Ces questions sont les mêmes au Nord et au Sud. Certains pays du Sud, néanmoins sont encore confrontés à des problèmes majeurs d’infrastructures pérennes et de connectivité. Il ne faudrait pas sous prétexte d’un principe universel d’ouverture des données, placer ces pays, africains en particulier, dans une situation de double fracture, scientifique et technologique qui ne leur permettrait ni d’accéder aux produits de la recherche, ni de les utiliser.

Cette transition vers l’ouverture numérique doit donc être pleinement soutenue par les gouvernements et les agences de financement. Il en va d’un gain en efficience et en reconnaissance de la recherche. C’est un enjeu collectif. Car en donnant un accès aux données brutes et aux données secondaires, un scientifique permet à d’autres de s’en saisir, de les réutiliser pour aller plus loin. Etant crédité de ces résultats, il gagne, tout comme son institution, en visibilité, crédibilité et notoriété. Et il contribue à la science mondiale.

Quels sont aujourd’hui les obstacles à la science ouverte ?

M.-Cl. Deboin : Le principal frein vient de la peur de perdre une opportunité de valoriser scientifiquement et économiquement un résultat et que cette valorisation profite à quelqu’un d’autre. C’est pourquoi la sensibilisation et la pédagogie sont essentielles : il s’agit de se poser en amont la question de la valeur des futurs résultats d’un projet, données et publications comprises, pour une communauté. Les équipes de recherche peuvent tout à fait bénéficier d’une période de non-divulgation de tout ou partie des données produites avant de les ouvrir. Durant cette période, elles peuvent alors se donner l’opportunité d’en tirer un intérêt scientifique, économique et commercial.

Également, il existe une gradation et un cadre de régulation dans l’ouverture de résultats que cela soit des publications ou des données brutes. Des conditions d’accès et d’utilisation doivent y être associées telles que la mention du crédit, la réutilisation sans but commercial, ou encore l’interdiction de modifier les résultats. Cela rejoint l’idée de l’outil Creative Communs et d’autres systèmes de licences libres. Cependant, certaines données sensibles sont exclues d’une ouverture non contrôlée, quand il s’agit de données personnelles par exemple. Ce qui importe avant tout est que toute ouverture se fasse dans le respect d’un cadre juridique ou réglementaire, et des règles éthiques et déontologiques.

Quelle contribution le Cirad apporte-t-il à la science ouverte ?

M.-Cl. Deboin : Une publication, comme un article de recherche, est censée proposer un résultat original. Ce résultat est sous-tendu par un ou plusieurs jeux de données qui sont issues d’observation, d’expérimentation, de collecte ou de modélisation. Une première étape consiste à donner accès, en même temps que la publication, au jeu de données qui étayent les résultats de l’article. Ces données prouvent la fiabilité et la robustesse du résultat présenté, et doivent pouvoir être reproduites.

Dans ce sens, en 2015, le Cirad a fait évoluer vers une archive ouverte sa base historique de publications Agritrop. Cette base donne librement accès, dans le respect du droit d’auteur, aux publications produites ou coproduites par les scientifiques du Cirad sur la recherche agricole et le développement rural des pays du Sud. Désormais, Agritrop fournit également le ou les liens, quand ils sont connus, entre les articles et les jeux de données qui leur sont associés. L’archive ouverte propose à l’heure actuelle 103 000 références et 40 000 documents de texte intégral dont 23 000 en libre accès.

En 2018, un entrepôt institutionnel de données de recherche, Dataverse Cirad, a été mis en ligne. Il propose aujourd’hui 87 jeux de données représentant 418 fichiers. Dédié aux données de faible volume, il complète des entrepôts internationaux spécialisés - en génomique, en écologie, etc. - auxquels certaines communautés scientifiques du Cirad contribuent depuis de nombreuses années, en y déposant les données issues de leur recherche. La science ouverte s’exprime en effet aussi au travers des communautés disciplinaires ou thématiques auxquelles elle donne l’opportunité de se fédérer et d’avancer ensemble.

Le 1er colloque international Science ouverte au Sud

Le Cirad, l’IRD et l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) organisent le 1er colloque international « Science ouverte au Sud » du 23 au 25 octobre à l’Institut Confucius de l’UCAD à Dakar (Sénégal). De nombreux acteurs – chercheurs, professionnels de l’information scientifique, représentants d’institutions de recherche – discuteront des enjeux de la science ouverte dans les pays du Sud.

Dans ce cadre, le Cirad animera des ateliers sur :

  • la propriété intellectuelle et les aspects juridiques de la données
  • la conception d’un plan de gestion de données (PGD) dans le cadre d’un projet
  • l’usage des entrepôts de données

Lire le communiqué de presse

Le Cirad engagé dans la transition numérique

La transition numérique constitue l’un des éléments tangibles des changements mondiaux qui ont un impact sur les pratiques de la science et sur les activités associées. De nouveaux produits et services émergent, dont certains soulèvent de nombreuses questions éthiques et juridiques (open science, open data, etc.). Si la technologie numérique n’est pas un sujet nouveau pour le Cirad, celui-ci s’y engage plus fortement et en fait un axe majeur de son propre développement.

Exemples de projets

Formation numérique, gestion et valorisation des données appliquées à l’aide à la décision en agriculture pour la lutte contre la sécheresse dans le Sahel, coordonnée par le Cirad, Agreenium et le Centre régional Agrhymet dans le cadre du projet Appui au Développement de l’Enseignement Supérieur Français en Afrique (ADESFA) du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères

Projets impliquant le Cirad, l’IRD et l’Inra, financés par l’Agence nationale de la Recherche dans le cadre du Plan national pour la science ouverte :

  • DATA4C+ Interopérabilité des bases de données sur le carbone du sol dans le cadre de l'Initiative 4 pour 1000
  • BRIDGE Bridge Research through Interoperable Data Governance and Environments, qui débutera en novembre 2019
  • FooSIN - participation française au GO FAIR Food Systems Implementation Network