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Des caméras pièges dévoilent des interactions discrètes mais risquées sur la santé animale
Potamochère sanglier sauvage des forêts malgaches ©R.Rakotoarivony
Quels impacts de la peste porcine africaine sur les élevages familiaux?
Introduite à Madagascar en 1997 depuis Fort-Dauphin, la PPA s’est rapidement propagée dans la plupart des régions de l’île. Environ cinq foyers par an sont rapportés, causant des pertes colossales pour l’élevage porcin étant donné qu’aucun vaccin n’existe contre cette maladie. Jusqu’à aujourd’hui, seule la région d’Analanjirofo est épargnée. Extrêmement contagieuse, elle provoque jusqu’à 100 % de mortalité chez les animaux infectés.
La PPA est une zoonose non zoonotique. Elle ne se transmet donc pas à l’homme, toutefois, son impact sur l’économie rurale est considérable : pertes de revenus, effondrement des cheptels, insécurité alimentaire et endettement des familles. Les élevages familiaux, souvent pratiqués en liberté ou semi-liberté, sont particulièrement vulnérables, les porcs divaguant pour s’alimenter dans des systèmes à faible biosécurité, favorisant la circulation du virus entre exploitations et zones naturelles.
Le potamochère dans le viseur des chercheurs
Le projet Nif Naf s’est basé sur l’hypothèse que le potamochère (Potamochoerus larvatus), fréquent dans les zones forestières et agricoles, pourrait être un réservoir naturel de la PPA. Capable d’héberger le virus sans présenter de symptômes, il contribuerait à sa persistance dans l’environnement et à sa propagation.
Afin de documenter les interactions de ce suidé sauvage avec les animaux domestiques, les chercheurs ont utilisé la technique des pièges photographiques dans deux régions situées à l’ouest de Madagascar.
Que révèlent les caméras-pièges sur les interactions entre faune sauvage et animaux domestiques ?
Pendant trois mois, 26 pièges photographiques ont été installés dans dix villages du Menabe et du Boeny. Ces caméras ont capturé près de 18 000 images et analysé plus de 2 600 nuits d’observation. Les dispositifs ont été placés sur des sites où les animaux se croisent fréquemment : sources d’eau, zones de repos et lieux de nourriture. Outre les potamochères et les porcs, les images ont révélé la présence de poules, pintades, chats et bœufs.
Des rencontres indirectes mais risquées
Aucune interaction directe simultanée entre potamochères et porcs domestiques n’a été observée, mais 44 interactions indirectes ont été enregistrées. Ces « rencontres différées » se produisent lorsque les animaux fréquentent les mêmes lieux à quelques heures d’intervalle. Ces délais restent inférieurs à la durée de survie environnementale de plusieurs agents pathogènes :
- Le virus de la PPA peut survivre 24 heures dans le sol humide.
- Mycobacterium bovis, responsable de la tuberculose bovine, peut rester viable jusqu’à 5 jours;
- Toxoplasma gondii, parasite persistant, peut survivre plus de 200 jours.
Ces observations suggèrent qu’une transmission indirecte de pathogènes entre animaux sauvages et domestiques est théoriquement possible dans ces zones rurales.
Des zones à risque identifiées
Les points chauds d’interaction se situent :
- à proximité des villages et des aires protégées, là où habitats naturels et zones agricoles se côtoient ;
- autour des points d’eau et des ressources alimentaires, y compris fruits, cultures et forêts dégradées.
Les paysages ouverts, les forêts secondaires et les zones de transition forêt-prairie concentrent ainsi les risques d’interactions.
Comment protéger les animaux domestiques ?
L’étude montre que la déforestation, la divagation des animaux et les modes d’élevage extensifs favorisent les rencontres entre faune sauvage et animaux domestiques. Les chercheurs soulignent l’importance d’adopter des mesures de biosécurité adaptées au contexte rural, comme la claustration des porcs ou la gestion des zones d’abreuvement. Ces pratiques restent toutefois difficiles à appliquer pour de nombreux paysans, faute de moyens.
Les images et données collectées ont permis d’évaluer l’impact potentiel des mesures de prévention et de mieux comprendre comment réduire les risques de transmission. À terme, ces résultats renforcent la résilience des systèmes d’élevage et protègent les moyens de subsistance des familles rurales.
Comprendre les interactions entre potamochères et porcs domestiques, c’est mieux protéger les élevages, les revenus et la santé des communautés rurales. Ces travaux constituent une première à Madagascar et ouvrent la voie à des recherches similaires ailleurs en Afrique, où le potamochère est également présent dans des paysages humanisés.
Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une thèse portée par Rianja Rakotoarivony avec l’encadrement de Ferran Jori, Chercheur de l’unité mixte de recherche ASTRE au Cirad au sein du projet Nifnaf.
Le projet Nif Naf
Lancé le 1er avril 2019 et achevé le 31 décembre 2024, le projet ASF NifNaf (Unraveling the Effect of Contact Networks & Socio-Economic Factors in the Emergence of Infectious Diseases at the Wild-Domestic Interface) avait pour objectif de comprendre les facteurs écologiques et socio-économiques favorisant l’émergence et la transmission de la PPA dans la région SADC.
Le projet visait à caractériser les réseaux de contacts dans la filière porcine, à évaluer la séroprévalence et la diversité virale dans les cycles domestiques et sylvatiques, et à modéliser la transmission et l’impact économique de la PPA.
Basée sur une approche collaborative et internationale, cette initiative a mobilisé de nombreux partenaires : University of California Davis (États-Unis), Cirad et Fofifa (Madagascar), Université de Pretoria et ARC-LNR (Afrique du Sud), Universidade Eduardo Mondlane et IIAM (Mozambique), Universidad Complutense Madrid (Espagne), ainsi que les services vétérinaires et laboratoires nationaux à Madagascar. Le projet avait été financé par le programme Ecology and Evolution of Infectious Disease (EEID) de la NSF, USDA et NIH, combinant expertise scientifique et action concrète pour protéger les élevages et les populations rurales face à la PPA.