Géopolitique des forêts du monde : quelles stratégies de lutte contre la déforestation ?

Just out 30 June 2021
Dans une nouvelle étude publiée par l’Ifri, intitulée « Géopolitique des forêts du monde », Alain Karsenty du Cirad, présente un tour d’horizon complet des causes de la déforestation et des moyens pour inverser cette tendance mondiale. Il avance cinq recommandations pour une gouvernance mondiale des forêts pour la 15ème réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15).
En dehors des pays tempérés et boréaux, la déforestation se poursuit à un rythme alarmant © G. Vieilledent, Cirad
En dehors des pays tempérés et boréaux, la déforestation se poursuit à un rythme alarmant © G. Vieilledent, Cirad

Chaque année, environ 125 000 ha de forêt tropicale humide disparaissent à Madagascar (Vancutsem et al. 2021, Science Advances). Ici, une forêt humide au nord-est de Madagascar (péninsule de Masoala) est déforestée par abattis-brûlis pour la mise en culture de riz pluvial. © G. Vieilledent, Cirad

En dehors des pays tempérés et boréaux, la déforestation se poursuit à un rythme alarmant, rappelle Alain Karsenty en introduction de l’étude. Sont en cause : une course au foncier, sous-tendue par l’accroissement démographique et la hausse de la demande mondiale pour certains produits agricoles, biomatériaux ou biocarburants « à risque de déforestation ». 

Dans le paysage géopolitique de la déforestation, les entreprises forestières asiatiques (Malaisie, Chine et Vietnam) gagnent du terrain en Afrique et en Asie du Sud-Est, tandis que les firmes d’agroalimentaire se développent partout dans le monde.

Face à cela, la question des forêts prend une place croissante dans les agendas politiques internationaux et dans les stratégies d’entreprises, à travers la « compensation carbone ». « Mais ces agendas s’appuient sur une vision naïve de l’incitation (notamment avec REDD+) », selon Alain Karsenty.

S’attaquer aux inégalités et à l’insécurité foncière

Pour l’économiste du Cirad, les modes de consommation dans les pays industrialisés et émergents doivent évoluer rapidement afin de réduire les pressions directes et indirectes sur les espaces boisés. « Il faut s’attaquer aux inégalités et à l’insécurité foncière, mettre en œuvre des politiques qui rémunèrent plus équitablement les paysans pour les denrées qu’ils produisent et les services écologiques qu’ils fournissent ».

Alain Karsenty préconise ainsi un agenda commun, avec les pays en développement, pour la sécurité alimentaire, la lutte contre la déforestation et la restauration des écosystèmes naturels dégradés. « Il faut investir dans la transformation des systèmes agro-alimentaires, l’éducation, les réformes du foncier et consolider les institutions nécessaires à l’état de droit (justice, autorités indépendantes…) ».

Appel à un sursaut dans la gouvernance mondiale des forêts 

Pour la 15ème réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15) prévue en Chine en octobre 2021, il appelle ainsi à un sursaut dans la gouvernance mondiale des forêts à travers cinq recommandations :

  1. Compléter le principe des « paiements aux résultats » du mécanisme REDD+ par un puissant soutien aux investissements nécessaires pour que ces résultats puissent se concrétiser.
  2. Maîtriser la demande en produits impliqués dans la déforestation en revoyant les accords commerciaux : bannir l’importation de produits impliqués dans de la déforestation illégale au profit de produits certifiés « zéro déforestation ».
  3. Aider les pays en développement à mettre en œuvre une fiscalité écologique incitative pour favoriser les productions agricoles zéro déforestation et forestières durables, via des systèmes de bonus-malus.
  4. Construire un agenda commun pour la sécurité alimentaire, la lutte contre la déforestation et la restauration des écosystèmes naturels dégradés avec les pays en développement. Développer l’agroécologie paysanne, les associations cultures-élevage et l’agroforesterie. L’investissement nécessaire pourrait transiter par des programmes de Paiements pour Services Environnementaux.
  5. Faire évoluer le régime des concessions forestières pour intégrer la reconnaissance de droits superposés sur les espaces, la gestion commerciale de nouvelles ressources et le partage des bénéfices.

Sommaire

Introduction 
De qui dépend l’avenir des forêts du monde ?

Quels sont les responsables de la déforestation ? 

Les entreprises privées

Des États développementalistes et écologiques ? 

Les donateurs internationaux

Empilement des compromis institutionnalises et autonomie technocratique

Les instruments visant à favoriser une bonne gestion forestière

  • Légalité et gouvernance 
  • Les certifications de « bonne gestion forestière »

Les forêts et les instruments « climat » 

  • L’épineuse question des crédits carbone 
  • Les « projets REDD+ » ou le triomphe de la gouvernance privée
  • L’avenir incertain du processus REDD+ onusien 

Un retour aux accords bilatéraux pour pallier la lenteur des dispositifs internationaux 

  • Conditionner l’appui financier
  • Agir sur la demande : la lutte contre la déforestation importée 
  • Les difficultés de mise en œuvre des stratégies de lutte contre la déforestation importée 
Comment renforcer l’efficacité de la réponse internationale à la déforestation ? 

Dépasser les controverses

  • Les modalités d’exploitation des forêts
  • REDD+ : une marchandisation de la nature ?
  • Un fragile consensus autour de l’agriculture « zéro déforestation » 

Renforcer le régime international des forêts 

Conclusion​​

 

Référence

Alain Karsenty, « Géopolitique des forêts du monde : quelles stratégies de lutte contre la déforestation ? », Études de l’Ifri, Ifri, juin 2021