« L’Afrique a la maîtrise de sa destinée alimentaire »

Event 8 March 2023
Alors que l’Afrique bénéficie d’une large population paysanne et d’une grande diversité de régimes alimentaires et de systèmes agricoles, elle peine encore à nourrir une personne sur cinq. Quel modèle doit-elle donc développer pour assurer sa souveraineté alimentaire ? Éléments de réponse et de réflexion lors la conférence « L’Afrique nourrit les Africains », organisée à l'occasion du Salon international de l’agriculture 2023.
Une conférence organisée par le Cirad, la CEDEAO, l'AFD et le ROPPA à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris © N. Kaden, Cirad
Une conférence organisée par le Cirad, la CEDEAO, l'AFD et le ROPPA à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris © N. Kaden, Cirad

Une conférence organisée par le Cirad, la CEDEAO, l'AFD et le ROPPA à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris © N. Kaden, Cirad

Un Africain sur cinq souffre de malnutrition selon la FAO. Pourtant, « la production alimentaire dépasse les 2 500 kilocalories par personne et par jour en Afrique de l’Ouest et Centrale, et elle est en passe de le faire à l’Est », rappelait Nicolas Bricas, socioéconomiste au Cirad, en introduction de la conférence « L’Afrique nourrit les Africains », organisée par le Cirad avec la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) et l’Agence française de développement (AFD), lors du Salon international de l’agriculture 2023.

Un paradoxe en toile de fond de cette conférence qui a tenté d’identifier les atouts et les freins à dépasser à partir desquels l’Afrique pourra élaborer son propre modèle de souveraineté alimentaire. Une souveraineté dont le maître-mot semble être la diversité.

« Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. »

Ainsi, « dans presque tous les pays africains, l’alimentation tend à considérablement se diversifier, explique Nicolas Bricas. C’est une évolution bénéfique, car plus un pays a un index de Berry  – qui mesure la diversité alimentaire – élevé, plus il est résilient : en cas de flambée de prix ou de déficit de production d’un produit, il se rabat sur d’autres ». Autrement dit, l’adage « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » contribue à la souveraineté alimentaire. En témoigne le Nigéria. « En matière d’évolution démographique, ce pays a trente ans d’avance sur le reste de l’Afrique, rappelle le chercheur. Or, il a fait exploser sa production de racines, de tubercules, de plantains et de niébés, ce qui en fait un des pays les moins dépendants des importations alimentaires ».

Une diversification nutritionnelle à promouvoir

Malgré cette tendance positive, l’accroissement de la production des céréales, et un peu celle des racines et tubercules, a été privilégié pour augmenter les calories. Or, des enquêtes récentes montrent que le Ghana et le Mali urbains comptent 22 % de personnes obèses ! C’est pourquoi aujourd’hui les nutritionnistes alertent : il faut renforcer la diversification alimentaire, car il y a notamment des carences en micronutriments.

Un constat partagé par Christiane Rakotomalala, nutritionniste et responsable des projets nutrition au Gret à Madagascar, qui souligne que la diversification se heurte au fait « qu’elle est encore méconnue des populations malgaches malgré les efforts des intervenants locaux et de l’État pour la promouvoir ».
« Les hautes terres ont une production variée, mais 70 % des enfants y souffrent de malnutrition. Nous accompagnons donc de petits groupements locaux afin qu’ils fortifient leurs produits, décrit la nutritionniste. Le Sud souffre d’insécurité alimentaire aigüe due à la sécheresse. Avec d’autres ONG, nous y avons favorisé le développement de blocs agroécologiques avec des semences locales améliorées et l’introduction par exemple du mil qui n’était ni consommé ni cultivé à Madagascar. Bilan : ces cultures résistent mieux aux conditions climatiques locales ».
En outre, « cette association de cultures locales et adaptées permet de lutter contre le stress hydrique et les maladies – quand une culture est atteinte, l’agriculteur ne perd pas l’ensemble de sa production – et d’améliorer les revenus des producteurs », complète Toutkoul Drem-Taing, le secrétaire exécutif de la Plateforme régionale des organisations paysannes d’Afrique Centrale (Propac).

L’agroécologie, futur modèle de l’agriculture africaine ?

En la matière, « l’agriculture familiale a déjà des éléments qui respectent les principes de l’agroécologie notamment la diversité des cultures et la faible utilisation des intrants artificiels », note Toutkoul Drem-Taing. Même si « de nombreux agriculteurs n’utilisent pas d’engrais chimiques faute de moyens et non par conviction », précise Astou Camara Diao, directrice du Bureau d’analyse macro-économique de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA).

Cette situation pourrait être un atout pour une transition massive vers l’agroécologie. Sous réserve toutefois que « les agriculteurs soient soutenus et formés, et que des recherches soient menées pour quantifier, par exemple, les rendements de ces cultures » indique Toutkoul Drem-Taing.

Plus largement, cette démarche implique « une diffusion des savoirs par les agriculteurs eux-mêmes, la formation d’acteurs locaux, la mobilisation du secteur privé et des politiques publiques fortes y compris pour rendre les territoires attractifs », complète Yerima Borgui, coordinateur du Programme agroécologie de la Cedeao. Il reconnaît que pour l’heure, il faut parler de transition agroécologique. Car « pour faire face aux besoins alimentaires croissants, on continue d’accompagner l’agriculture conventionnelle, mais il faut aussi soutenir les initiatives écologiques, notamment au niveau des territoires ». Pour Astou Camara Diao, « c’est le moment de réfléchir à des moyens de produire de manière plus durable afin de développer notre propre modèle ».

Une conviction partagée par Élisabeth Claverie de Saint Martin, présidente-directrice générale du Cirad, pour laquelle « aujourd’hui, l’Afrique a la maîtrise de sa destinée alimentaire et elle n’est pas en attente de solutions externes pour se sauver. Cependant, elle doit relever des défis – croissance démographique, changement climatique, capacités de production, maladies émergentes, etc. – qui appellent des réponses diverses tant au niveau agroalimentaire que politique et environnemental ».