Intelligence territoriale à Paragominas : la commune atteint les chiffres de déforestation les plus bas de son histoire

22/12/2020
La déforestation en Amazonie brésilienne en 2020 accuse une hausse de près de 10% par rapport à 2019, selon l'Institut National de Recherche Spatiale (INPE). Dans l’Etat du Pará, l’augmentation serait proche de 25 %. Pourtant, au cœur de cet Etat, la commune de Paragominas a atteint les chiffres de déforestation les plus bas de son histoire. Sur ce territoire, la coopération scientifique franco-brésilienne, dans le cadre du dispositif de partenariat pour la recherche agronomique (dP Amazonie), accompagne le développement de pratiques agricoles durables sur des zones déjà déforestées et promeut la restauration des « paysages efficients ».
Intelligence territoriale à Paragominas

Si cette double démarche d’intensification des pratiques agricoles et de restauration forestière fonctionne à Paragominas, c’est que les agriculteurs ne cherchent plus à agrandir la surface agricole utile de leur exploitation. « En empêchant toute nouvelle déforestation depuis 2008, les autorités obligent indirectement les agriculteurs à s’adapter et à intensifier leur production sur les surfaces agricoles qu’ils possèdent déjà, » indique René Poccard-Chapuis, chercheur du CIRAD. C'est le point de départ de la restauration de paysages  efficients dans la commune, un partenariat entre la recherche, la mairie et le secteur privé.  

Les partenaires ont réalisé que la plus grande menace pour les forêts provient des techniques agricoles extensives généralement pratiquées dans la région au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, l'intensification de l'agriculture conduit à se concentrer sur les meilleures terres, libérant ainsi des espaces pour restaurer les forêts dans des zones qui avaient été déboisées mais qui présentent une trop faible aptitude pour la production agricole.

Dans cette ambition de concilier la protection des forêts avec le développement économique et social, les partenaires développent une approche d'intelligence territoriale pour une gestion plus efficace de leurs paysages. Cela conduit à repenser l'organisation spatiale de la trame agricole et de la trame forestière dans les paysages, en combinant les usages du sol en fonction des aptitudes spécifiques du milieu. 

Les chercheurs aident la commune à cartographier ces aptitudes, avec les acteurs locaux. « Sur des zones déjà déforestées et présentant des aptitudes adéquates, les bonnes pratiques agricoles augmentent les revenus et le patrimoine des producteurs, explique René Poccard-Chapuis. Plutôt que de choisir des pratiques minières qui nuisent non seulement à l'environnement mais aussi au potentiel productif de la région, nous encourageons la transition vers des pratiques plus intensives conçues pour maximiser l'efficience dans l'usage des ressources naturelles. » 

Parallèlement, dans les ravines, les zones de pente ou les zones mal drainées, il est inutile d'investir dans une mise en culture. Il devient plus intéressant d’y créer un actif environnemental, en laissant les forêts se restaurer, y former des couloirs qui connectent les massifs forestiers créant ainsi une nouvelle trame forestière. Cette trame sera très efficace car elle protège les sols de l'érosion dans les zones de pente, protège le cycle de l'eau dans les ravines, valorise les zones mal drainées pour humidifier l'atmosphère grâce à l'évapotranspiration forestière, et offre également un habitat de qualité pour la biodiversité par la création de multiples couloirs forestiers. Tout cela sans frais, et surtout sans perdre de surface productive, seulement dans les zones de trop faible aptitude. Nous parlons d’actifs environnementaux, car cette restauration va plus loin que ce qu'exige le code forestier brésilien, qui ne prend pas en compte les aptitudes du sol, au contraire de l’agriculteur.

Ces travaux - menés en collaboration avec l’Embrapa, l’Université Fédérale du Pará, l’Université Rurale d’Amazonie - ouvrent de nouvelles perspectives pour le territoire : la construction d'un label de certification territoriale, garantissant avec transparence et fiabilité la progression du territoire vers la durabilité. Cette certification est attractive pour les investisseurs et les acheteurs responsables, qui ont besoin de sécurité territoriale pour opérer. 

La commune de Paragominas a été sélectionnée comme l'un des cinq territoires innovants bénéficiant d’un appui du projet TerrAmaz. Au cours de ce projet, avec le soutien financier de l'Agence Française de Développement (AFD), le CIRAD et ses partenaires du dP Amazonie vont étudier et accompagner le déploiement de ce type de démarches pour concilier agriculture durable et préservation des ressources forestières en Amazonie.

Chiffres de déforestation de l’Amazonie brésilienne : une réalité très contrastée

Les chiffres avancés par l’INPE annoncent une déforestation de 11 088 kilomètres carrés sur toute l’Amazonie légale brésilienne, entre août 2019 et juillet 2020. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2008. C’est aussi la troisième année consécutive de hausse depuis 2017 : 8 % en 2018, de 25 % en 2019, et de près de 10 % en 2020.

Selon René Poccard du CIRAD, « l’augmentation de la déforestation en Amazonie Légale masque en réalité un très fort contraste géographique. Il existe une Amazonie qui augmente ses déforestations, à un rythme beaucoup plus élevé que ces chiffres d'ailleurs, et une Amazonie qui cesse de déforester. » En effet, la hausse observée en 2020, de près de 10 %, est surtout concentrée dans le seul Etat du Pará. Les variations dans les autres Etats sont proches de la stabilité, certains légèrement positifs (Amazonas, Mato Grosso), d’autres négatifs ou stables.

« Si on descend au niveau des communes, seul un petit nombre est responsable d’une grande partie de la déforestation, » ajoute René Poccard. Les deux communes de Altamira et São Félix do Xingú sont responsables à elles seules de plus de 30 % des déforestations du Pará. Certaines communes, comme Paragominas, au contraire, atteignent une déforestation très faible : 10,75 km² en 2020, soit quatre fois moins que l'objectif fixé par l'État. C'est le résultat d'une gestion municipale de qualité, et cela ouvre de nouvelles possibilités pour l'intelligence territoriale.

Photo 1. Les incendies affectent toutes les composantes du paysage, que ce soit dans les zones cultivées ou les forêts, comme ici dans ce périmètre de réforme agraire qui côtoie la Réserve Indienne du Haut rio Guamá, à Paragominas. La prévention, le combat, les alternatives à l’usage du feu, rendent urgente une collaboration entre tous les acteurs: l’intelligence territoriale doit permettre de trouver des solutions acceptables par tous, pour éviter des désastres en saison sèche.
Photo 2. Après le passage du feu, la forêt est toujours debout, mais fortement dégradée : ici cette photo illustre la grande quantité d’arbres morts dans la forêt primaire de la Maritaca, après l’incendie de 2015, à Paragominas. Ainsi se forment des « déserts forestiers » : des zones qui possèdent encore la structure d’une forêt, mais ont perdu une grande partie de leur capacité à fournir des services écosystémiques, que ce soit par rapport à la biodiversité, aux stocks de carbone, à la régulation du cycle de l’eau ou à la protection des sols.
Photo 3. Les systèmes de production extensifs ont généré des paysages désordonnés et peu efficients. Au premier plan de cette photo, la rivière Onça coule dans une plaine totalement déforestée, tout comme les coteaux à l’arrière-plan. Or ces deux zones sont très peu adaptées pour développer l’agriculture et l’élevage. Par contre la déforestation y cause d’importante préjudices environnementaux (érosion des sols et ensablement des cours d’eau notamment) : c’est ce genre de configuration qui a dévasté les paysages durant de longues décennies et que le plan d’intelligence territoriale cherche à réorganiser.
Photo 4. La désorganisation des paysages cause du tort aussi aux habitants des villes qui se situent en aval. A cause de l’ensablement des lits des cours d’eau, les crues sont fréquentes et dévastatrices comme ici à Paragominas en 2018 et 2019. La société locale est directement concernée par les problématiques d’usage des sols, ce qui constitue aussi un levier d’action pour mobiliser les consciences et adapter les réglementations.
Photo 5. En améliorant les pratiques agricoles, comme par exemple en mécanisant la préparation du sol, les agriculteurs s’intéressent aux zones les plus favorables, où des rendements plus élevés compenseront l’investissement réalisé. Ils abandonnent alors les autres zones, où la forêt peut se réinstaller rapidement, puis former une trame connectée et cohérente. Dans ce processus, les revenus agricoles augmentent, et les forêts rendent de multiples services environnementaux : le paysage est devenu plus efficient, mieux organisé, comme sur cette photo dans la haute-vallée du Potiritá, à l’Ouest de Paragominas.
Photo 6. L’élevage et la forêt peuvent cohabiter dans un même paysage, si chacun est localisé dans les zones où il fait sens, et si l’usage du feu est banni. Les zones plates et bien drainées sont favorables aux prairies, et les autres peuvent être occupées par des forêts, même si le code forestier brésilien ne le stipule pas (il ne tient pas compte des aptitudes du sol).
Photo 7. Quand le producteur commence à tenir compte des aptitudes du sol pour améliorer ses pratiques agricoles et ses modes de gestion, les paysages cessent d’être simplement géométriques et artificiels : ils commencent à s’adapter aux ressources naturelles. C’est le début de l’intensification écologique. Promouvoir cette évolution est essentiel pour que les agriculteurs augmentent leurs revenus et les emplois créés, mais aussi pour qu’ils deviennent des producteurs de services écosystémiques pour toute la société.