Souveraineté alimentaire en Afrique, comment produire plus et mieux ?

Événement 7 mars 2024
Comment gérer la fertilité des sols pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent africain ? C’est la question posée par le Cirad et l’AFD lors de la traditionnelle conférence organisée lors du dernier Salon international de l’agriculture à Paris. Experts et acteurs du monde agricole ont débattu des diverses voies pour relever ce défi. Morceaux choisis.
Une conférence organisée par le Cirad et l'AFD à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris 2024 © Cirad, C. Grether-Remondon
Une conférence organisée par le Cirad et l'AFD à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris 2024 © Cirad, C. Grether-Remondon

Une conférence organisée par le Cirad et l'AFD à l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris 2024 © Cirad, C. Grether-Remondon

« Depuis cinq ans, le nombre de personnes souffrant de la faim augmente, notamment en Afrique, rappelle Éric Justes, agronome, directeur adjoint du département Persyst au Cirad, en introduction de la conférence “Comment gérer la fertilité des sols pour renforcer la souveraineté alimentaire en Afrique ?”, organisée par le Cirad et l’AFD. Covid, dérèglement climatique, guerre en Ukraine et conflits locaux ont en effet mis à mal les progrès préalablement réalisés pour répondre au deuxième objectif de développement durable (ODD) des Nations Unies : éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable ».

En parallèle, le continent africain connait une croissance démographique importante. « Garantir la sécurité alimentaire de sa population représente donc un défi dans lequel le secteur agricole a plus que jamais un rôle à jouer, notamment en augmentant durablement sa production », résume l’agronome.

Des sols en mauvaise santé et peu productifs

Mais cette augmentation indispensable fait face à un contexte difficile. « Les trop faibles rendements agricoles en Afrique sont dus à plusieurs raisons, parmi lesquelles le manque d’infrastructures, le mode de production encore traditionnelle, le changement climatique et surtout la très faible fertilité des sols, poursuit Tantely M. Razafimbelo, agropédologue et directrice du Laboratoire des radioisotopes de l’Université d’Antananarivo à Madagascar. Globalement, les sols africains sont très pauvres en carbone et en nutriments – phosphore, calcium, azote, magnésium, etc. – ce qui a pour conséquence une faible activité biologique des micro-organismes. Or ceux-ci participent d’une part à la décomposition de la matière organique des sols ce qui permet la libération d’éléments nutritifs pour la plante. D’autre part, ils contribuent à la structure physique des sols qui assure la rétention d’eau et leur stabilité. Gérer la fertilité du sol revient donc à gérer ces trois types de fertilités – chimique (les nutriments), biologique (les micro-organismes) et physique (la structure) – car elles sont interdépendantes ».

Agroécologie et engrais chimiques, une combinaison gagnante…

La chercheuse présente plusieurs options pour améliorer la fertilité des sols. « Nos travaux ont montré qu’augmenter les quantités d’engrais phosphaté ne permet pas d’accroitre indéfiniment le rendement du riz, d’où la nécessité de définir la valeur optimale. Et ce d’autant plus que cet engrais a un effet cumulatif dans le temps et qu’une rotation avec des légumineuses permet de réduire encore plus les quantités nécessaires. Plus largement, les engrais minéraux seuls ont montré leurs limites et peuvent favoriser la survenue de maladies pour les plantes. Il faut donc les associer à des engrais organiques, qui eux-mêmes présentent des combinaisons entre eux plus ou moins efficaces. Enfin, les pratiques agroécologiques comme l’agroforesterie contribuent aussi à améliorer les stocks de carbone ».

Augmenter la fertilité des sols n’appelle donc pas une réponse unique, mais des combinaisons de moyens qui incluent agroécologie et engrais chimiques comme l’a illustré Gatien Falconnier, chercheur au Cirad à Harare au Zimbabwe. « Quatre études menées dans différents pays d’Afrique subsaharienne ont estimé que le rendement de maïs nécessaire pour améliorer la sécurité alimentaire est de l’ordre de 6 tonnes par hectare. Mais les rendements actuels des agriculteurs sont d’environ 2 tonnes par hectare. La raison principale : le manque de nutriments indique-t-il. Comment donc apporter suffisamment de nutriments pour atteindre cette sécurité ? Parmi les solutions agroécologiques, les arbres fertilisants et les crotalaires sont très efficaces, mais ils n’intéressent pas les agriculteurs, car ils n’ont aucune valeur nutritive ni commerciale et bloquent une partie de la parcelle. Ils leur préfèrent les légumineuses à graines et le fumier, mais l’apport est alors insuffisant. Pour compléter celui-ci, l’utilisation des engrais chimiques est incontournable ».
Néanmoins, « des progrès doivent être faits concernant leur production qui représente 3,5 % des émissions de gaz à effet de serre. En outre, il faut impérativement utiliser le bon engrais, en bonne quantité, au bon endroit, au bon moment, en combinaison avec l’agroécologie, notamment les légumineuses et le couvert forestier qui augmentent fortement l’efficience des engrais chimiques » souligne le chercheur.

… qui nécessite une approche holistique

Agroécologie et engrais chimiques doivent donc être utilisés en synergie. Le problème est que « la consommation d’engrais minéraux en Afrique est très faible : c’est l’équivalent de celle du Pakistan » précise Mehdi Filali, senior vice-président Afrique de l’Ouest à OCP Africa, filiale d’OCP qui est le numéro un mondial de la production d’engrais phosphatés. Or, « l’Afrique produit des engrais chimiques, mais 75 à 80 % sont exportés hors du continent, sur des marchés plus attractifs, ce qui pose la question de leur accès pour les agriculteurs africains, poursuit Guy Faure, senior policy officer à la Commission européenne, en charge de la recherche et de l’innovation (recherche en agriculture pour le développement). Mais cette faible consommation est aussi due à d’autres facteurs limitants : la réponse des cultures aux engrais sur des sols dégradés, le risque d’investir dans des engrais en n’ayant pas l’assurance de vendre à cause du changement climatique, l’accès au crédit pour investir dans les intrants, ce qui renvoie à la nécessité d’une stabilisation des marchés avec des prix qui soient plus attractifs pour les producteurs et supportables pour les consommateurs ».

De fait, comme l’indique Mehdi Filali, « 90 % des agriculteurs en Afrique qui sont des petits exploitants font face à un grand nombre de difficultés. L’accès aux engrais de qualité est certes un vrai challenge, mais il y a aussi l’accès aux semences certifiées, à la mécanisation, au marché, à la formation, etc. Pour développer l’agriculture, il faut donc des approches holistiques en partenariat avec les acteurs locaux privés et publics, les agences de vulgarisation, les banques... Par exemple, avec des instituts de recherche, nous avons établi la cartographie de la fertilité de 50 millions d’hectares de sols. Il faut maintenant utiliser ses données comme nous l’avons fait en Éthiopie, où cela a permis de développer un engrais spécifique, moins cher, qui a augmenté les rendements de 40 % ».

« En Côte d’Ivoire, cette approche adaptée à chaque sol a permis d’améliorer l’apport d’intrants au type de sol au lieu d’une utilisation standardisée de la fumure », complète Nathalie Bogui, conseillère technique du directeur général de l’Anader et membre du conseil d’administration Rescar AOC. Elle a tenu à souligner que le Rescar prône l’autonomisation des agriculteurs, tant au niveau des engrais minéraux que des bio-intrants.
« Cette période de transition nécessite que tous les acteurs se concertent et tiennent un discours cohérent sur le terrain afin d’éviter d’engendrer de la confusion synonyme de résultats catastrophiques. Il faut en effet que les agriculteurs comprennent pourquoi, après avoir prôné pendant 40 ou 60 ans une manière de faire, nous venons complexifier leur travail ! »

Enfin, « des études de production d’engrais organiques et de biofertilisant au-delà de la ferme ont aussi des résultats intéressants, assurant 20 à 40 % des besoins nutriments des plantes, tout en engendrant des emplois locaux. Ainsi, en Égypte, en Afrique du Sud et au Ghana, des systèmes de recyclage des résidus organiques des villes, couplés à des actions de propreté, ont été mis en place avec succès, indique Guy Faure. Autre exemple, l’Égypte est en pointe dans le domaine des biofertilisants à base de bactéries fixatrices d’azote ce qui pourrait permettre une production locale contribuant à l’autonomie de communautés agricoles ».

« Compte tenu de sa croissance démographique et avec ses capacités de productions actuelles, à l’horizon 2050, l’Afrique aurait besoin de plusieurs dizaines de millions d’hectares supplémentaires cultivés pour répondre à sa demande alimentaire, rappel Élisabeth Claverie de Saint Martin, présidente-directrice générale du Cirad, en conclusion de la conférence.
Pour éviter que cette augmentation se fasse au détriment des écosystèmes naturels et de la biodiversité, il faut donc produire plus par hectare. À cette fin, comme l’ont montré les échanges, les solutions sont multiples et complexes. Et il est clair qu’on ne pourra pas se passer ni des approches agroécologiques, des recyclages efficaces, ni des engrais minéraux. Néanmoins, l’usage de ces derniers n’aura de sens que s’il permet d’accroitre la souveraineté alimentaire de l’Afrique, tout en réduisant la pauvreté des agriculteurs. Il s’agira donc de définir grâce à la recherche scientifique, comment et où cet usage est pertinent ».