Faye B. (éd.), 2013. Recent trends in camel research. Emirates Journal of Food and Agriculture, Special issue, 25, n° 4. Doi : http://ejfa.info/index.php/ejfa/issue/view/471/showToc
Faye B., 2009. L’élevage des grands camélidés : vers un changement de paradigme. In : 16es Rencontres autour des recherches sur les ruminants, 2-3 décembre 2009, Paris. Paris, Institut de l’élevage, p. 345-348.
International Society of Camelid Research and Development (Isocard) : http://www.isocard.org/
Bernard Faye
Al-Kharj, Arabie saoudite
Systèmes d’élevage méditerranéens et tropicaux (UMR Selmet)
09/2013
L’élevage des grands camélidés – dromadaires et chameaux – demeure marginal à l’échelle mondiale, mais représente pour les régions désertiques une ressource inestimable. Producteur de lait, de viande, de cuir, de laine et de fumier, animal de bât, de trait et de selle, le dromadaire est l’une des rares espèces domestiques capables de mettre en valeur ces espaces. Avec les changements climatiques actuels et futurs, les sécheresses sévères qui ont sévi récemment, et la désertification qui gagne, on observe un regain d’intérêt pour cette espèce. Les scientifiques, et ceux du Cirad en particulier, s’intéressent à sa biologie, ses performances, ses produits et sa place dans l’écosystème. Tour d’horizon des dernières découvertes.
Avec 0,4 % du cheptel des herbivores, 0,2 % du lait et 0,4 % de la viande produits, l’élevage des grands camélidés demeure marginal à l’échelle mondiale. Pourtant, l’adaptation de ces animaux aux milieux arides et leurs multiples fonctions en font des alliés précieux dans le contexte actuel de changement climatique et de désertification. Leur élevage est d’ailleurs en pleine mutation, leurs productions se diversifient et s’intègrent aux circuits marchands, leur capacité de mise en valeur des écosystèmes désertiques suscite de plus en plus l’intérêt, sans oublier les propriétés thérapeutiques de certains de leurs produits sur lesquelles se penche la recherche biomédicale.
Les systèmes d’élevage camelin évoluent. Ainsi, en Arabie saoudite, l’urbanisation pousse les Bédouins à s’installer autour des villes et à intensifier leur production, pour proposer des produits mieux adaptés aux besoins des citadins. Cette tendance se retrouve dans toutes les régions désertiques, où la croissance urbaine et les changements de comportement alimentaire accélèrent la commercialisation des produits camelins. Pour satisfaire cette demande, des élevages laitiers périurbains se développent et des minilaiteries voient le jour, et l’élevage, traditionnellement hyperextensif, s’intensifie.
D’où des changements radicaux dans la gestion de cette espèce : diffusion de l’insémination artificielle, voire du transfert d’embryon, réduction de l’intervalle entre les mises bas, alimentation hors-sol, rations riches en concentrés, traite mécanique, sevrage précoce, accélération du taux de réforme, sélection des meilleures laitières.
La recherche accompagne cette évolution. Par exemple, en améliorant, grâce aux biotechnologies, les performances reproductives de cette espèce à cycle lent et peu productive, en analysant précisément ses besoins nutritionnels, en l’adaptant à la traite mécanique, en améliorant son potentiel laitier, en sélectionnant, à l’aide de marqueurs génétiques, les animaux les plus performants.
Les résultats sont probants. Dans le domaine de la production laitière, par exemple, les races sélectionnées, comme Al-Majaheem en Arabie saoudite, produisent jusqu’à 9 000 litres de lait par an, contre 2 500 litres environ pour les chamelles non sélectionnées. Les systèmes de production se sont aussi modernisés, avec l’installation de fermes laitières modèles, qui combinent traite mécanisée, alimentation raisonnée, gestion intensive de la reproduction, sélection des meilleures laitières.
La qualité du lait, déterminante pour sa commercialisation, est aujourd’hui mieux connue. Les chercheurs s’intéressent non seulement à ses aspects sanitaires, mais aussi à sa composition, en particulier protéique, et à ses vertus détoxifiantes dues, comme l’a montré dernièrement une étude, à des souches de bactéries lactiques capables d’absorber les métaux lourds.
La demande urbaine en viande de dromadaire a tendance à progresser elle aussi. Les scientifiques cherchent donc à accélérer la croissance de cette espèce par des méthodes d’élevage en parcs d’engraissement, comme c’est le cas dans les zones oasiennes de Tunisie. Ils étudient également la qualité de cette viande, sa composition brute, mais aussi ses composants spécifiques comme la vitamine D. Ils s’intéressent aussi à ses procédés de transformation, afin de proposer aux consommateurs des produits plus attractifs, comme les camelburgers .
La réglementation sanitaire est également une préoccupation avec la normalisation des règles d’abattage et de découpe de la viande. Les techniques d’inspection en abattoir et de classification des carcasses sont en plein développement. Ces évolutions ont un effet notable sur la filière et la réglementation du commerce régional, notamment autour de la mer Rouge, se met en place.
Au-delà de ses productions, le dromadaire a un rôle déterminant dans la mise en valeur des écosystèmes désertiques. Les recherches montrent en effet qu’il fait un usage rationnel de leurs ressources et qu’il permet, grâce à la diversification de ses fonctions, notamment agricoles pour le labour, le hersage et le semis, de maintenir une activité rurale dans ces régions.
Il suit d’ailleurs l’aridification des milieux et étend actuellement son aire de répartition géographique, mais aussi sociale, puisqu’il est désormais utilisé par des populations sans tradition chamelière. Cette situation l’oblige à affronter des milieux plus contrastés et plus instables sur le plan climatique et semble favoriser de nouvelles pathologies.
L’adaptation du dromadaire aux conditions désertiques repose sur un ensemble de dispositifs anatomiques, physiologiques et comportementaux, sur lesquels les chercheurs se penchent depuis déjà plusieurs années. Ces recherches ont permis d’identifier des molécules qui pourraient trouver un usage dans le domaine biomédical.
Ainsi, les immunoglobulines des camélidés s’avèrent particulièrement intéressantes pour fabriquer les anticorps recombinants nécessaires au diagnostic et au traitement de certains cancers. La lactoferrine du lait de chamelle pourrait elle aussi être utilisée à des fins thérapeutiques. Une étude récente a montré qu’elle possédait une forte activité antibactérienne, mais aussi des propriétés antivirale, antifongique, anti-inflammatoire et immunostimulante.
Les grands camélidés suscitent indéniablement un intérêt renouvelé dans de nombreux domaines de recherche à travers le monde. Et la communauté scientifique de leurs spécialistes s’organise afin de donner à leurs recherches une reconnaissance à la hauteur des enjeux auxquels ces espèces sont appelées à répondre.
A l’heure de la mondialisation et du changement climatique, les grands camélidés sont devenus bien plus que des « vaisseaux du désert ».