La pandémie Covid-19 ne doit pas occulter la lutte contre les moustiques

Plaidoyer 28 septembre 2020
Alors que tous les regards sont tournés vers la Covid-19, d’autres maladies infectieuses progressent dangereusement. C’est notamment le cas de la dengue, une maladie transmise par les moustiques du genre Aedes . Des chercheurs de plusieurs organismes de recherche français sonnent l’alarme dans un article publié dans Plos NTD le 23 septembre. La lutte anti-vectorielle doit se poursuivre, même en période de pandémie.
Aedes albopictus, le moustique tigre, est vecteur de la dengue. Plus de 30 000 cas ont été enregistrés depuis 2017 à La Réunion-Mayotte. © A. Franck, Cirad
Aedes albopictus, le moustique tigre, est vecteur de la dengue. Plus de 30 000 cas ont été enregistrés depuis 2017 à La Réunion-Mayotte. © A. Franck, Cirad

Aedes albopictus, le moustique tigre, est vecteur de la dengue. Plus de 30 000 cas ont été enregistrés depuis 2017 à La Réunion-Mayotte. © A. Franck, Cirad

Depuis le début de l’année 2020, plus d’un million de cas de dengue et environ 400 décès ont été déclarés au Brésil. Triste record également pour l’océan Indien, avec des épidémies de dengue importantes à Mayotte et à La Réunion (plus de 30 000 cas depuis 2017), et pour les îles françaises des Caraïbes (15 000 cas depuis fin 2019). Pendant que l’attention des acteurs de la santé et des populations est accaparée par la pandémie, les maladies vectorielles, c’est-à-dire transmises par des arthropodes vecteurs, comme les moustiques ou les tiques, continuent de s’étendre, tandis que la lutte antivectorielle ralentit. Pour la dengue, et alors que les premiers symptômes sont similaires à ceux de la Covid-19, cette situation risque de retarder le diagnostic et la prise en charge spécifique des patients.

Des actions de surveillance de la dengue et de luttes anti-vectorielles ralenties

Les mesures de confinement, tout autour du globe, ont engendré une sous-déclaration des cas de dengue dans de nombreuses régions. Dans les territoires français d’outre-mer, les déclarations ont drastiquement chuté dès les premières semaines de confinement, alors même qu’une augmentation marquée des cas avait été enregistrée dans les semaines précédentes. Ces sous-déclarations ont impactées négativement le suivi épidémiologique de la dengue sur ces territoires.

En outre, c’est également la lutte anti-vectorielle, soit contre les moustiques, qui a vu ses activités affectées par la pandémie.

« Beaucoup d’actions de démoustication au sein des domiciles privés n’ont pas pu avoir lieu pendant le confinement en mars-avril dernier , explique Thierry Baldet, entomologiste médical au Cirad et co-auteur de l’article. En conséquence, il n’y pas eu de régulations suffisantes des populations de moustiques au cours de cette période. » Dans ce contexte de double épidémie (dengue et Covid-19) dans les territoires français d’outre-mer et du risque vectoriel qui augmente en été en climat tempéré (une transmission autochtone de dengue a été observée cet été dans l’Hérault), l’Anses a mobilisé un groupe d’experts (dont les travaux sont en ligne), que Thierry Baldet a présidé.

Les scientifiques appellent ainsi à de meilleures campagnes de sensibilisation auprès du grand public, notamment sur les réseaux sociaux. Le but est de renforcer la mobilisation sociale contre la dengue et d’améliorer les pratiques de lutte anti-vectorielle. Ces recommandations sur les bonnes pratiques à adopter dans la lutte contre les moustiques au temps de la Covid-19 ont été mises en œuvre dans les territoires français d’outre-mer et devraient être utiles aux autres régions du monde touchées par la dengue.

Dengue et Covid-19 : une coexistence dangereuse

En plus des impacts sanitaires, économiques et sociaux que peuvent causer les épidémies de dengue, il apparaît que les premiers symptômes de la dengue sont très similaires à ceux de la Covid-19. Erreurs de diagnostic, faux positifs ou mauvaise prise en charge, les conséquences sanitaires pour les pays où les deux maladies évoluent en même temps peuvent être majeures.

Si la mobilisation contre la Covid-19 est nécessaire, les auteurs de l’article rappellent ainsi qu’il ne faut pas en oublier pour autant la lutte contre la dengue et les autres maladies à arbovirus et transmises par les moustiques Aedes (Zika, chikungunya, fièvre jaune, …).

Des approches innovantes dans la lutte contre les moustiques Aedes

Le Cirad, par ses travaux sur les maladies animales ou zoonotiques vectorielles, a acquis une solide expertise sur la lutte contre les arthropodes vecteurs, ainsi qu’en modélisation. Grâce à ce savoir, les équipes du Cirad sont capables de développer des solutions innovantes dans la lutte contre les moustiques urbains Aedes (Ae. albopictus et Ae. aegypti ), vecteurs de la dengue, du virus Zika, ou encore du chikungunya. Parmi ces approches, notons deux d’entre elles : la modélisation des densités de populations de moustiques et la technique de l’insecte stérile renforcée.

A La Réunion, les scientifiques du Cirad proposent à l’Agence de Santé Régionale (ARS) un logiciel de prédiction des densités de populations de moustiques Aedes . Le logiciel, appelé AlboRun, crée des cartes de l’île qui affichent les zones où les densités de moustiques sont estimées élevées. Cela permet aux agents en charge de la lutte de cibler plus efficacement leurs actions de démoustication.

La technique de l’insecte stérile consiste, quant à elle, à relâcher en milieu sauvage des moustiques mâles stériles, qui entreront en compétition avec les moustiques mâles fertiles pour la fécondation des œufs. Au Cirad, les chercheurs s’attachent à améliorer cette technique en utilisant un biocide spécifique impactant seulement les œufs des femelles. Selon les estimations, ce « boost » pourrait réduire de plus de 95 % le nombre total de moustiques mâles stériles nécessaires pour contrôler les épidémies de dengue. Une telle avancée signifierait une baisse drastique du coût de la lutte anti-vectorielle.

Référence

Marie-Marie Olive, Thierry Baldet, James Devillers, Johanna Fite, Marie-Claire Paty, Christophe Paupy, Philippe Quénel, Elsa Quillery, Jocelyn Raude, Jean-Paul Stahl, Marie Thiann-Bo-Morel, David Roiz. 2020. The COVID-19 pandemic should not jeopardise dengue control. Plos NTD