07/03/2017 - Communiqué de presse
L’efficacité des systèmes de surveillance des maladies animales dépend avant tout de la qualité des données recueillies sur le terrain, or les facteurs qui influencent cette dernière sont rarement évalués. Deux études menées au Vietnam et en Allemagne par des chercheurs du Cirad et leurs partenaires révèlent que les paramètres socio-économiques et culturels doivent absolument être pris en compte pour limiter les biais lié à la sous-déclaration des maladies. Ces travaux novateurs en évaluation économique pourront servir de base aux autorités pour améliorer les systèmes de surveillance. Cette approche intégrée pourrait être rapidement transposable et adaptée aux crises en cours (grippe aviaire) ou aux menaces potentielles (peste porcine africaine, dermatose nodulaire cutanée).
Plus une maladie animale est détectée tôt, plus la réponse des autorités sanitaires peut être efficace, et les pertes économiques, voire humaines, limitées. Les pouvoirs publics ont donc à cœur de mettre en place des analyses épidémiologiques efficaces. Toutefois, actuellement, les stratégies de surveillance qui alimentent en données ces analyses sont rarement évaluées, et encore moins selon une démarche scientifique. Évaluer l’efficience d’une stratégie, et donc son rapport coût-efficacité, en se basant sur des preuves scientifiques est une démarche novatrice et essentielle, à l’heure où les contraintes budgétaires sont de plus en plus fortes au Nord comme au Sud...
« La question de la fiabilité des données de surveillance fournies par des acteurs de terrain (éleveurs, vétérinaires…) est primordiale , explique Marisa Peyre, chercheuse au Cirad. Le problème est que les stratégies de surveillance ne prennent généralement pas en compte les contraintes locales et les facteurs socio-culturels ». Or ceux-ci sont souvent essentiels à la réussite desdites stratégies de surveillance. Dans quelle mesure ? Pour le découvrir, les chercheurs ont employé une approche d’évaluation économique innovante, reposant sur des outils de sciences sociales et d’économie expérimentale.
Au Vietnam, les chercheurs du Cirad, du CIRRD* et du FARAH** ont appliqué cette démarche d’évaluation pour identifier les facteurs socio-économiques qui incitent les éleveurs de porcs à signaler ou non les maladies aux autorités (1) . « Les décideurs politiques considèrent généralement qu’un niveau de compensation correct est suffisant pour que les éleveurs reportent les cas d’animaux malades. En réalité, ce n’est pas vrai : ils préfèrent souvent vendre à perte leurs bêtes, par des filières parallèles, plutôt que de passer par les canaux officiels », explique Marisa Peyre. L’incertitude sur le fait que la compensation sera bien versée explique en partie cette attitude, mais ce n’est pas la seule raison. En cas de signalement, les autorités compétentes, voire l’armée en cas de crise majeure, abattent généralement tout le cheptel. « Or cet abattage a un coût qui n’est pas couvert par la compensation promise : perte d’animaux reproducteurs issus d’une longue sélection, stress pour l’éleveur, incompréhension devant l’abattage d’animaux en apparence sains …» Se greffent également d’autres problèmes : les vétérinaires chargés des signalements font partie de la communauté et en subissent la pression sociale, les pouvoirs publics ont perdu la confiance des éleveurs etc. Au final, ces facteurs socio-économiques font que la politique la plus efficace en théorie pour contenir une épidémie s’avère, dans les faits, contre-productive.
Cette situation n’est pas limitée aux pays du Sud, comme le montre une seconde étude menée en Allemagne, à laquelle a également participé Marisa Peyre (2) . Les chercheurs ont cette fois évalué l’acceptabilité de différentes stratégies de surveillance de la peste porcine classique (PPC) dans les populations de sangliers. Ils ont pour cela utilisé une méthode participative innovante développée par le Cirad (3) . La PPC, qui représente une menace très importante pour les éleveurs de porc européens, peut passer des populations porcines sauvages aux populations domestiques. Chaque année, les chasseurs fournissent donc volontairement un certain nombre d’animaux morts aux autorités sanitaires, qui testent la présence ou l’absence de la maladie. Trois stratégies théoriquement optimales en termes de rapport coût – efficacité ont été identifiées par les scientifiques, parmi 69 stratégies de report possibles. Toutefois, après avoir interrogé les chasseurs sur leurs pratiques, il s’est avéré que deux d’entre elles étaient inapplicables dans les faits. Trop contraignantes, elles n’auraient pas été suivies, entraînant un risque de sous-évaluation de la PPC. Ces travaux montrent l’importance d’inclure l’acceptabilité dans la définition des systèmes de surveillance. « Vous pouvez essayer d’améliorer votre stratégie de surveillance, en changeant le nombre d'échantillons pris, leur nature, la saison de prélèvement : s'il n'y a pas d'acceptabilité vos mesures ne seront pas efficaces , conclue Marisa Peyre. Ça paraît évident, mais il est encore difficile de faire passer ce message auprès des autorités, voire même de la communauté scientifique et technique ! Épidémiologistes ou animateurs de réseaux de surveillance se focalisent encore trop souvent sur les aspects biologiques ou médicaux, alors qu’il y aurait un grand intérêt à intégrer plus de sciences humaines et sociales dans ce domaine au Nord comme au Sud (4) . »
Cette approche intégrée permettra de surveiller d’autres situations sanitaires au Sud. Elle est aussi rapidement transposable à la surveillance de maladies au Nord, qu’il s’agisse de crises en cours, comme l’épidémie de grippe aviaire actuelle, ou de menaces potentielles, comme la peste porcine africaine ou la dermatose nodulaire cutanée. Originaires d’Afrique sub-saharienne, ces maladies animales mortelles, hautement contagieuses, ont atteint l’Est de l’Europe ces dernières années et représentent deux risques majeurs pour le secteur de l’élevage.
* Center for Interdisciplinary Research for Rural Development - Vietnam National University of Agriculture
** Fundamental and Applied Research for Animal & Health, Faculté de Médecine Vétérinaire, Université Liège
(1) Pham H.T.T et al
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(2017), Preventive Veterinary Medicine
DOI : 10.1016/j.prevetmed.2017.01.002
(2) Schulz K. et al.
(2017), Nature Scientific Reports
DOI : 10.1038/srep43871
(3) Calba C. et al.
(2015), Preventive Veterinary Medicine
DOI : 10.1016/j.prevetmed.2015.10.001
(4) Goutard, F. L. et al.
(2015), Preventive veterinary medicine
DOI : 10.1016/j.prevetmed.2015.02.014