Comment la malnutrition peut coexister avec une production élevée de céréales
Le paradoxe des Hauts-Bassins: Produire plus pour produire mieux
Un film d'Alissia Lourme Ruiz et Eric Maugerard
08/03/2016 - Article
Les femmes jouent un rôle clé dans la sécurité alimentaire de certaines régions d’Afrique. Les régions de l’ouest du Burkina Faso fournissent une production de céréales supérieure aux besoins énergétiques de leurs populations. Pourtant, ce sont également des régions dans lesquelles un tiers des enfants sont en retard de croissance, signe de malnutrition chronique, et lié, en partie, à une alimentation déséquilibrée. L’économiste Alissia Lourme Ruiz montre que dans ces régions, au sein des ménages agricoles, la diversité de l’alimentation dépend essentiellement de l’autonomie économique et financière des femmes, plutôt que du niveau de production céréalière. Explications en images à l’occasion de la journée internationale de la femme ce 8 mars 2016.
Dans la région des Hauts Bassins, dans le sud-ouest du Burkina Faso, la production de céréales est théoriquement suffisante en quantité pour couvrir les besoins énergétiques des individus. Toutefois, les populations souffrent de carences en micronutriments : c’est ce que l’on appelle la «faim silencieuse».
Une alimentation insuffisante en quantité et/ou en diversité est une des trois causes sous-jacentes de la malnutrition, les deux autres étant la santé et le soin.
«La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.»
- Sommet mondial de l’alimentation, 1996 -
En milieu rural, dans les régions d’Afrique de l’Ouest, les populations mangent très souvent du tô qui est une pâte faite à partir de farine de céréales et qui est accompagné d’une sauce. Cette sauce apporte la richesse du plat sur le plan gustatif et nutritionnel. Les enfants, mangent soit ce plat familial, soit une bouillie de céréales diluée avec de l’eau et à laquelle les femmes peuvent ajouter du sucre.
La diversité alimentaire est très faible. Les femmes consomment en moyenne à peine plus de 3 groupes alimentaires par jour. Pour couvrir leurs besoins en micronutriments, elles devraient en consommer au minimum 5 sur 10 selon les normes internationales. Les enfants consomment également en moyenne 3 groupes alimentaires journaliers lorsqu’il leur est recommandé d’en consommer 4 sur 7.
Dans ces régions rurales, toutes les femmes allaitent, ce qui est une bonne chose selon les spécialistes de la santé. En revanche, la diversification alimentaire pose problème pour le développement des enfants. Les aliments, parfois introduits trop tard, sont souvent peu diversifiés ou inadaptés à de jeunes enfants. Ce type d’alimentation génère des situations de retard de croissance suite à la malnutrition, ou malnutrition chronique précoce.
Ce retard a un effet cumulatif de 6 mois à 2 ans. Il s’agit d’un état pathologique invisible : sans mesure régulière, il est difficile de le mettre en évidence, qui plus est dans un environnement où un tiers des enfants sont trop petits pour leur âge.
La famille détient quelques hectares de terre, qui appartiennent la plupart du temps au mari. Dans cette région du Burkina Faso, les rôles des hommes et des femmes sont très normés. Pour ce qui est de l’alimentation, les hommes gèrent les céréales, les stockent au grenier et les distribuent aux femmes au fur et à mesure des besoins. Parfois, une partie des céréales doit cependant être vendue pour faire face à des besoins de liquidité, payer la scolarité des enfants ou les consultations au centre de soin en cas de maladie... De leur côté, les femmes sont en charge des sauces.
Elles cultivent alors, sur de petits jardins de case ou autour des parcelles, les ingrédients nécessaires à la préparation des sauces (arachides, gombo, oseilles...). Elles pratiquent également la cueillette pour utiliser les feuilles (baobab...) et graines (néré pour le soumbala...) dans les préparations culinaires.
Afin de dégager un petit revenu, les femmes développent des activités dans le prolongement de leurs activés domestiques : elles vendent un peu de leur production, une partie du bois qu’elles vont couper pour cuisiner, les mangues qu’elles cueillent ou encore du dolo, la bière locale obtenue par fermentation du sorgho.
L’achat des aliments, la préparation des repas, l’alimentation des enfants… de nombreux travaux domestiques, en particulier liés à l’alimentation, sont à la charge des femmes. Ces activités sont très physiques et surtout chronophages. L’étude menée par Alissia Lourme Ruiz montre que, dans cette région, aller chercher du bois en brousse pour la cuisson requiert en moyenne 2h30, aller chercher de l’eau au puits, 30 minutes.
Pendant la saison des pluies, de juin à novembre, les travaux agricoles priment sur tout le reste et mobilisent toute la famille. La plupart des femmes partent travailler en brousse du matin au soir en emmenant leurs jeunes enfants de moins de deux ans. Elles ont alors moins de temps à consacrer aux repas et aux soins des enfants. Certaines femmes enceintes ne peuvent parfois pas accéder au centre de soin et accouchent en brousse.
Certains projets de développement visent à accroître ou diversifier les revenus des femmes. Un projet de micro-crédit, porté par le Programme alimentaire mondial (PAM) et Oxfam, a vu le jour dans la région. Plus de 700 femmes en bénéficient. Elles investissent l’argent prêté pour acheter des céréales et les revendre lorsque les prix croissent. L’argent issu de ces ventes leur permet de rembourser l’emprunt et de dégager un bénéfice. Elles gagnent alors en indépendance pour les achats alimentaires, les frais de scolarité ou des soins imprévus pour leurs enfants.
Les femmes sont aussi amenées à se regrouper. Par exemple, le groupement «Kaora», qui signifie «union» ou «entente» permet aux femmes productrices de lait du village de Koumbia de vendre leur lait plus cher en le transformant en yaourt. Le groupement leur a notamment permis d’acquérir un réfrigérateur pour conserver les yaourts.
Apporter de la diversification à l’alimentation demande aux femmes du temps et/ou de l’argent. Or, la chercheuse a constaté que, de par l’organisation de la famille et les rôles dévolus aux hommes et aux femmes, ces dernières manquent souvent à la fois de l’un et de l’autre. Selon la scientifique, les revenus de la mère apparaissent comme une des clés de l’équilibre alimentaire pour toute la famille et notamment pour les jeunes enfants.
Photos : Vivien Floris, Make2Work